Cet hôtel est aussi et surtout un bar. Une version améliorée d’une «tbarna» où les « notables » de la ville se retrouvaient pour quelques bières. Un lieu comme il y en a dans presque toutes les villes du pays car les bars sont rares. Les licences d’alcool sont très difficiles à obtenir et il fut un temps où Ben Ali lui-même se réservait le droit de les octroyer à qui lui faisait allégeance.

S’attaquer à un hôtel dans une destination touristique n’est pas un acte dénué de significations. Il n’est surtout pas à prendre à la légère. Nos gouvernants qui se targuaient jusqu’à il y a quelques semaines de n’avoir subi aucun acte nuisant à l’ensemble de l’industrie touristique et des touristes… Ils se voient aujourd’hui délivrés un message bien différent par une minorité qui joue à terroriser le pays.

Cet avertissement autrement plus musclé est cependant loin d’être terrifiant. Les zones touristiques tunisiennes et bien qu’elles ne soient pas à l’abri d’incidents de ce genre sont protégées par des service de sécurité efficaces quand les instructions sont clairement données. Deux poids, deux mesures. Assurément!

Jusqu’ici, les impératifs économiques obligeaient la famille islamiste à mettre de l’eau dans son vin. Ennahdha, qui lissait son discours en éludant les sujets qui fâchent comme l’alcool, est en train de subir les affres de partis et de militants autrement plus radicaux. Désormais, les carottes sont cuites et la « grande famille politico-religieuse» tunisienne est en train d’éclater.

La question de la bière et du bikini oppose les partis islamistes à moins qu’elle ne soit un outil pour faire régner par la peur un modèle rejeté par la société tunisienne. Dans l’attente, 3 partis salafistes ont été autorisés. Il reste à savoir quel est le poids de cette nébuleuse extrémiste qui, selon certains observateurs, se compose de radicaux, mais aussi de bandits, de contrebandiers, de rescapés de  l’ancien système… Une nébuleuse qui pavane en haut de l’affiche et détourne l’attention de 99% des Tunisiens.

Dans ce face à face, une partie est outillée par la légitimité des urnes, gère les structures de l’état et réfléchit en termes d’enjeux nationaux et internationaux, économiques, sociaux et électoraux. L’autre, ne jure plus que par la violence et s’obstine à refuser de vivre en 2012.
Face à cette guerre qui ne dit pas son nom, les Tunisiens ont de plus en plus peur. Ils voient leur pays sombrer dans l’anarchie dans un contexte économique difficile, une dégradation de la note de la Tunisie par S&P, un gouvernement qui manque d’expériences et de solutions, une opposition qui peine à se construire, une constitution qui tarde à s’écrire, des institutions qui battent de l’aile… Le tout est en train de s’effondrer au fur et à mesure qu’Ennahdha, seul parti solide et structuré, accélère sa main-mise sur l’état, ses structures et ses instituions. La date des élections est arrêtée mais quels partis politiques seront prêts dans moins de neuf mois?

Entre temps, la Tunisie continue de danser, chanter, boire… Sur plus de 800 hôtels et des dizaines de milliers de points de vente de boissons alcoolisées, seuls quelques points épars de vente et un hôtel ont été incendiés et saccagés. La consommation de la bière a fait un bond à la hausse, les restaurants et autres cabarets font le plein avec l’attirail habituel de danseurs, de clients et de prostituées.

Sur les plages, les hommes et les femmes, touristes ou pas, prennent du bon temps. Tout le monde profite des premiers bains en attendant l’été dont on prépare le programme des soirées endiablées avec des Dj venus des quatre coins du monde. Les « beach bar » branchés se refont une beauté en attendant leur clientèle d’estivants qui dansent jusqu’au matin, on peaufine le programme des festivals avec leur lot de vedettes internationales…
Une chose est sure, ce genre de situations porte un coup fatal à la saison touristique et à un secteur qui constitue l’un des piliers de l’économie tunisienne déjà branlante. Présenter la Tunisie comme un pays où règne le chaos, les mains coupées, etc. n’incite pas les potentiels touristes à venir.
La reprise touristique tant espérée aura-t-elle lieu? Pas si sure! Les hôtels confirment des réservations en masse mais s’inquiètent des annulations qui pourraient venir suite aux récents événements

Alors que certains pays comme la Suisse mettent à jour les recommandations à leurs voyageurs, Hammamet, Sousse, Mahdia ou Djerba restent calme. Hier soir, dans la ville de Sousse, les bars étaient ouverts et l’hôtel Mövenpick Sousse qui accueillait le dîner de « l’Association de la Chaîne des Rôtisseurs » affichait un taux de remplissage important. L’hôtel a même élevé ses tarifs en début d’année.

A Hammamet, l’hôtel « Les Orangers » affiche complet. Il n’en reste pas moins vrai que des dizaines d’hôtels souffrent et que des  milliers de touristes hésitent à se rendre en Tunisie pour des raisons évidentes, dues majoritairement à un déficit de communication mais aussi à une situation générale bien trop fragile.

En Tunisie, sur la route principale de Sousse, à minuit une femme seule conduit. La patrouille de nuit l’arrête. La ville est sous contrôle et on lui affirme avoir la situation bien en main. Sousse avait été une des premières villes du pays à subir les assauts des salafistes avec notamment l’affaire du Niqab.

A quelques centaines de kilomètres. La police observe un recul stratégique et tactique. Quasiment aucune femme n’est dans la rue à la nuit tombée. La situation dans des villes qui ont longtemps souffert d’exclusion est en état d’effervescence. Ce sont des villes qui majoritairement n’ont pas profité de la manne du tourisme.

Amel Djait

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