Je repense à un reportage de l’émission « Envoyé spécial » de l’année dernière. On y interviewait des touristes français à Sidi Bou Saïd. Tous disaient aimer la Tunisie parce qu’ils s’y sentaient en sécurité avec une police très présente pour les protéger. Ils rajoutaient avec un grand sourire que les Tunisiens étaient vraiment très gentils. Le drame que vivait la Tunisie était là. Qu’importait la dictature si elle pouvait servir à passer une semaine de vacances à se faire bronzer ou à favoriser une délocalisation d’usines. Quant aux Tunisiens, oui, ils étaient gentils, accueillants, colliers de jasmin et Bienvenue en Tunisie. Il est si confortable d’assimiler pacifisme et faiblesse…
« La Tunisie, le pays de Ben Ali », combien de fois ai-je entendu en France cette petite phrase assassine dans la bouche de mes confrères journalistes. Je ne crois pas qu’il y ait déjà eu dans l’histoire une telle confusion entre opprimés et oppresseurs, entre un peuple et ce qu’il subit par la force. Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu dans l’histoire un tel mépris.
Les Tunisiens étaient abandonnés, les Tunisiens ont fait leur révolution tous seuls. Mohamed Bouazizi a lancé un appel définitif de désespoir qui a été entendu par ses compatriotes et transformé en un cri collectif d’espoir. Les Tunisiens bâillonnés ont su utiliser les nouvelles technologies qu’ils avaient à leur disposition, réseaux sociaux et téléphones portables, pour communiquer, ils sont sortis dans la rue, ils ont eu peur, ils ont eu mal, ils ont gagné. Les Tunisiens de France ont aussi participé comme ils ont pu, par le passage des informations, par les marques de leur soutien, par leur dénonciation de la position du gouvernement français. Ils ont été assez forts pour faire plier le président français face à l’accueil prévu de l’ex-président tunisien. Une population vient de se découvrir citoyenne sans recourir aux armes. Oui, les Tunisiens sont pacifiques, l’Europe ne se trompait pas sur ce point. Mais plus personne ne pourra dorénavant confondre pacifisme et faiblesse. Et un nouvel adjectif peut maintenant être ajouté à « gentils »: les Tunisiens sont hautement dignes.
A Bizerte, où je vis, j’ai vu des jeunes, des parents, des grands-parents, des pauvres, des aisés, se coordonner pour protéger leurs quartiers des pilleurs et des provocateurs. J’ai vu du courage et de la détermination. J’ai vu l’armée remerciée de ne pas avoir tiré. J’ai vu des adolescents faire le V de la victoire le long des routes de campagne, à pied, en voiture, en mobylette ou à dos d’âne. J’ai vu des groupes de jeunes gens et d’enfants prendre des balais pour nettoyer la casse avec l’aide des pompiers. Sur le marché, un vieil homme est venu me dire sa joie, des larmes plein les yeux. Un autre s’est approché juste pour le plaisir de pouvoir dire : « Maintenant, on peut se parler. » Les rappeurs d’Armada Bizerta, rencontrés clandestinement la veille du départ de Ben Ali, m’ont téléphoné pour me donner rendez-vous dans un café.
La vie, l’envie, le désir est au bout des doigts.
Je suis fière de collaborer avec mille-et-une-tunisie qui, depuis un an déjà, travaille à faire connaître les énergies créatrices du pays. Elles existaient, l’histoire en train de se faire le prouve. Bienvenue en Tunisie.
Mireille Pena
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