Deux témoins et un contrat oral ou écrit suffisent pour légaliser la relation devant Dieu. Qu’il soit temporaire ou non, avec ou sans le consentement des parents, le mariage orfi, assez simple, constitue une opportunité pour les simples d’esprit. De nature à éviter les coûts excessifs des mariages, ces pratiques se répandent dans les quartiers populaires de Tunisie et dans les universités. Elles mettent en danger le modèle sociétal tunisien et gênent en apparence le politique ultra conservateur.

Sahby Atigue, parti Ennahdha, lors d’une récente émission télévisée en a parlé à demi mots en mentionnant des salafistes «que l’on marie en catimini et à qui l’on donne quelques sous mais qui, à la première occasion, blasphèment». Cheikh Mourou, pour ne citer que lui, multiplie les appels pour prévenir contre ces pratiques. Sur la chaine « Zitouna », le sujet revient en boucle. Cependant, des prédicateurs venus d’un autre temps, invités par des associations proches des partis se réclamant d’obédience religieuse donnent précisément l’alibi religieux pour dépasser les interdits. Pareils propos suscitent le désarroi des chefs dits spirituels qui ne parviennent pas à stopper ce fléau à moins qu’ils ne les aient encouragés à demi mots.

Des pratiques importées d’ailleurs via des paraboles et des prêches sont en train d’envahir des quartiers entiers et de toucher les couches sociales démunies. Pour Dalenda Larguech, historienne et directrice du CREDIF, «ce phénomène social est apparu avec l’émergence des courants salafistes en Tunisie après la révolution, en se nourrissant des conditions difficiles, de la pauvreté et de l’ignorance de quelques jeunes». Un jeu mêlant les « influences rétrogrades» aux « tiraillements entre les différents courants politiques ».
Au final, les jeunes, démunis, peinant avec le chômage, une détresse sentimentale certaine et une certaine frustration sexuelle essayent de faire contre mauvaise fortune des petits arrangements avec la religion ou la vision qu’on veut bien leur vendre et qu’ils veulent bien prendre.
Les jeunes femmes, pas forcément toujours crédules, sont des proies faciles car dans ces mariages elles sont dépourvues de droits. Même si les plus enthousiastes pensent que pareilles pratiques sont «vouées à l’échec, car le mariage coutumier n’a pas sa place dans une société tunisienne moderne et ouverte», il n’en reste pas moins vrai que cette nouvelle culture rampante commence bel et bien à se répandre.
Si dans les stands de la Foire internationale du livre de Tunis, il devient anodin de trouver des livres sur « comment informer ton épouse que tu t’es marié ?», anodin d’accepter que l’on voile des petites filles de 4 et 5 ans, normal d’accepter la polygamie et même de se battre pour, alors oui les pratiques et les mentalités changent en Tunisie.
Selon des sources renseignées, des quartiers entiers vivent déjà et depuis quelques temps avec la règle de la «Charia». Des quartiers inaccessibles qui sont régis par la loi de dieu ou du moins de ce qui se prétendent s’en référer à Dieu. Une vie où tout est ponctué par le « hallal » et le « haram » et non par la loi. Des quartiers où les bébés nés de ces mariages sont appelés « laquit »pour reprendre les propos de Souad Abderahim, députée ANC.
Le mariage « orfi » et sa progéniture sont les annonciateurs d’une guerre dont l’arme et les pertes sont les femmes. Dalenda Larguech se pose précisément la question: « Comment des femmes tunisiennes, après plus de 60 ans de droits en leur faveur, peuvent-elles accepter d’être entrainées dans un tel rapport de soumission sans la moindre garantie ? »
Il ne faut pas être devin pour comprendre que l’enjeu, c’est le code du statut de la femme tunisienne ( CSP). Si les islamistes dénoncent la multiplication des divorces, défendent la famille, dénoncent le «zina » et la prostitution et misent sur les grands shows des mariages collectifs, ils ne se prononcent pas sur le mariage coutumier.
Reste aussi qu’une partie minoritaire de la population est en train de prendre le parti pris des islamistes par pragmatisme. Peut-être ont-ils trouvé tout simplement aussi une légitimation de leurs pratiques ? La référence puise dans le répertoire religieux et dans le droit coutumier ce que l’état n’a plus les moyens d’assurer, à moins que l’on ne veuille plus lui en donner les moyens.

Amel Djait

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