C’est à la faveur d’une conférence sur « Le commerce équitable pour une agriculture durable » qu’une Plateforme Tunisienne du Commerce Équitable (PTCE) sera lancé sous peu. L’occasion pour en savoir plus avec Tarek Kaoueche, expert en économie sociale et solidaire et coordinateur du projet. Entretien avec Amel DJAIT.
1001Tunisie : Finalement, serions nous tenté de dire ! La Tunisie organise la 1 ère Conférence nationale sur le commerce équitable des produits agricoles et agroalimentaires. Quels sont les objectifs de l’événement ?
Tarek Kaouache : Vous avez parfaitement raison d’utiliser l’expression « finalement » car il est hallucinant de voir qu’en Tunisie, pays où la grande majorité des exploitations agricoles sont de type familial, seuls 3 projets de commerce équitable de produits agricoles ont vu le jour.
Le dernier en date, celui de Majel Bel Abbes à Kasserine est une SMSA produisant de l’huile d’olive, des pistaches et des amandes équitables et bio-équitables qui a vu le jour en 2016. Je ne veux vraiment pas faire de comparaisons avec d’autres pays d’Afrique et, en particulier, l’Afrique de l’ouest, ou le Maroc. Cela fait mal au cœur.
Ne va-t-il pas de soit que ce type de commerce s’adapte particulièrement aux petites productions agricoles ?
Justement. 54% des exploitations agricoles en Tunisie disposent de moins de 5 ha (soit près de 250.000 familles) et 75% moins de 10 ha. Savez vous que 43% des familles vivent uniquement de leurs activités agricoles et disposent de moins de 5 ha ? Ce chiffre passe à 64% pour les superficies de moins de 10ha… Autrement dit, notre production agricole repose en grande majorité sur les petites exploitations familiales fragiles et marginalisées et, à partir de là, majoritairement éligible au label équitable. Sauf que dans la pratique, le sujet reste tabou.
Il est étrange et révoltant de voir que l’agriculture biologique bénéficie en Tunisie d’avantages financiers et fiscaux et pas l’agriculture durable, respectueuse des principes du commerce équitable donc aussi bien des aspects sociaux qu’économiques et environnementaux.
Et c’est bien précisément bien pour cela que vous œuvrez à créer une plateforme de commerce équitable.
Notre principal objectif est de trouver les moyens pour que chacun des acteurs de la chaîne des valeurs des produits agricoles et agroalimentaires, depuis la production primaire jusqu’à la remise au consommateur final, reçoive la juste rémunération de son apport en termes d’investissements matériels, de temps et difficulté de travail, de risque, de savoir faire… Notre attention porte particulièrement sur les deux bouts de la chaîne (et principales victimes du système actuel) à savoir les petits exploitants agricoles et les consommateurs finaux.
Et quels sont les préalables pour y arriver ?
Commencer par initier un débat avec les différents acteurs sur l’opportunité de promouvoir le commerce équitable des produits agricoles et agroalimentaires (en première phase avant de passer aux produits de l’artisanat et le tourisme). Ensuite, nous étudions les moyens à mettre en œuvre pour y arriver avec le maximum d’impact social et dans les meilleurs délais.
Ceci dit, il est important de préciser que commerce équitable ne veut pas dire que toutes les activités commerciales actuelles sont inéquitables. Nous voulons parvenir à expliquer aux parties prenantes que le commerce équitable peut être une opportunité pour les commerçants honnêtes, en particulier les jeunes et nouveaux promoteurs, qui pourraient profiter de cette niche bénéficiant de la sympathie d’un nombre en augmentation exponentielle de consom’acteurs en quête de valeurs sociales et d’équité.
Matériellement, qui portera le projet ?
Matériellement, l’objectif est de lancer une Plateforme Tunisienne du Commerce Équitable et Solidaire qui aura les statuts d’une association ou d’un groupement d’intérêt économique. Ses principales missions seront de mettre en valeur l’intérêt de cette filière aussi bien du point de vue économique, qu’environnemental et social. Il s’agit d’amorcer le mécanisme d’adhésions auprès des différents acteurs.
2/Qui sont les partenaires? Qui est concerné par le commerce équitable? Quelle place et sensibilisation à l’équitable est-elle prévue pour le consommateur ?
Le projet de promouvoir le commerce équitable en Tunisie mijote depuis 3 ou 4 années mais n’avait pas, à l’époque, retenu l’attention des décideurs. Depuis près d’une dizaine de mois la plateforme tunisienne de l’économie sociale et solidaire (PLATESS), la coopérative de consommateurs « Tunisie Coop » et la chambre syndicale des conseillers agricole (CSNCA) ont décidé de mettre la main dans la main (ce qui est rare en Tunisie) pour promouvoir le concept de consom’acteur.
Dans notre cas, il est question de promouvoir les produits bio, issus de commerce équitable ou du terroir, de limiter le suremballage, de favoriser le commerce de proximité, etc.
Avez-vous trouvé du soutien ?
En fait, nous en étions au stade de recherche de fonds pour le lancement de 4 points de vente fonctionnant sur ce principe, avant de lancer une franchise sociale ouverte aux jeunes diplômées de l’enseignement supérieur quand Monsieur Samir TAIEB a été nommé ministre de l’Agriculture. En à peine 72 heures, nous avions déposé une demande sollicitant son appui pour l’organisation de cette conférence. Le 9 septembre, nous avions son accord pour en assurer l’ouverture et mettre à notre disposition son équipe de conseillers.
Et le consommateur dans tout cela ?
La place de la sensibilisation des consommateurs à l’équitable est un des principes essentiels. Il est largement reconnu par quasiment tous les mouvements du commerce équitable. Nous concernant, dès le démarrage du plan d’action, nous allons attaquer la question de la sensibilisation car, selon nous, la principale entrave à l’épanouissement de ce concept en Tunisie a été l’ignorance pour ne pas dire la désinformation à son sujet.
3/ Que peut apporter le commerce équitable aux femmes, aux produits du terroir, au producteurs défavorisés…. ?
Je ne suis pas d’accord pour l’utilisation du terme « producteurs défavorisés ». Je lui préfère celui de « producteurs marginalisés ». Celui-ci me semble plus adapté, car la situation de ces gens là n’est pas une fatalité mais le résultat prévisible des politiques sociales mises en œuvre en Tunisie depuis des décennies. Des politiques qui ont favorisé le capital au détriment du travail.
C’est noté, et indépendamment de la catégorie, que peut apporter le commerce équitable à ceux qui en ont besoin ?
Le commerce équitable devrait permettre aux gens qui travaillent et qui disposent d’un savoir-faire particulier, comme c’est le cas des produits du terroir, de profiter d’un revenu leur permettant d’assurer à leur famille une vie respectable. Une vie et à la hauteur de la valeur ajoutée qu’ils apportent à la société en termes de productions et de préservations de l’environnement et des traditions.
4/ Un label équitable tunisien verrat-il bientôt le jour ?
L’intérêt d’un label se mesure à sa visibilité, à la reconnaissance des valeurs qu’il véhicule et à la confiance que le consommateur lui accorde. Alors en effet, nous réfléchissons au développement d’un label « équitable » tunisien et préférons le terme « solidaire ». Celui-ci portera, pour commencer, sur les produits destinés au marché local, le temps qu’il soit mieux connu à l’étranger et que des partenaires étranger expriment le besoin de les commercialiser.
Quelles seront ses particularités ?
Ce « label solidaire » accordera une attention particulière à l’aspect genre favorisant les produits issus d’exploitations agricoles, d’ateliers de transformation et de commerces, gérés par des femmes ou bien respectant scrupuleusement les droits des femmes, conformément aux exigences de l’Organisation Mondiale du Travail, et même plus.
Nous pensons que les tunisiens sont particulièrement sensibles aux classes les plus marginalisées, vivant essentiellement en milieu rural et en particulier la femme qui, comme tout le monde le sait, supporte presque des conditions et affronte des difficultés incroyables.
Nous parions que les citoyens comprendront qu’il est plus utile d’acheter les produits labellisés « Commerce Solidaire », car à travers leurs achats, ils investissent dans l’amélioration, de façon pérenne et durable, des conditions de vie des familles qui les ont produits. Cela sera bien plus utile que d’envoyer des dons (à fonds perdus) en période de rentrée scolaire, de grand froid ou de sécheresse… Cela, n’est pas à décourager, par ailleurs !
5/ Une internationalisation de ce label est-elle d’actualité ?
Faire connaitre un label et les valeurs qu’il véhicule à l’échelle internationale est un travail de longue haleine. Cela demande beaucoup de temps et de moyens. L’internationalisation de ce label, se fera progressivement. Pour commencer, et en ce qui concerne les produits destinés à l’export, nous comptons répondre à la demande du marché en adoptant les labels demandés par les clients potentiels identifiés.
Pour finir ?
J’aimerais conclure, en insistant sur le fait que s’agissant de « commerce équitable », il est question de « commerce ». Il n’y a pas de honte à se faire des bénéfices. En tant que commerçant, on doit respecter les différents acteurs de la chaîne de valeur et leur labeur.
Je sais que l’événement dérange certaines personnes, mais je suis sûr que cela est dû à une méconnaissance des principes fondamentaux et fondateurs de cette pratique. Un de nos principaux objectifs est de remédier à cela par une campagne d’information et de sensibilisation à grande échelle.