L’église catholique Saint-Joseph se trouve à Houmt-Souk – Djerba. Cédée au gouvernement tunisien après l’indépendance pour devenir un bâtiment municipal, elle retrouve sa fonction en 2005 après accord du Président Ben Ali. Construite par la communauté maltaise de l’île en 1948 et agrandie, celle-ci est aujourd’hui un des symboles d’un vivre-ensemble de Djerba. Une île ou les trois religions vivent en respect. Interview avec la Père Matteo Lando pour en savoir plus. Par Amel DJAIT
Père Matteo, si vous commenciez par vous présenter aux lecteurs de 1001tunisie
Père Matteo Lando : Je m’appelle Père Matteo Lando. Je suis italien et j’ai suivi des études pour devenir prêtre religieux au Liban où j’ai passé 12 ans. J y ai appris le libanais. Je suis en Tunisie depuis septembre 2017.
Quelle est l’histoire de cette église ? A quand remonte sa construction ?
Cette église est l’église de Saint-Joseph, époux de Marie mère de Jésus Christ. Toute petite église, elle a été bâtie en 1948 mais elle a changé depuis. Modeste, ce sont les maltais et les italiens qui habitaient à Djerba qui l’ont construite de leurs propres mains. D’ailleurs, elle se trouve précisément dans le quartier maltais de Houmt-Souk. C’est dans ce même quartier que se trouvent les fameux fondoks des commerçants maltais.
Cette « houma » était leur quartier. Quelques années après leur établissement dans l’île, ils ont voulu avoir une église pour se retrouver, prier et pratiquer leur religion. Ils l’ont bâti de leurs propres mains. C’est en 1948 qu’arrive à Djerba le premier prêtre au service de cette communauté chrétienne.
Modeste, ce sont les maltais et les italiens qui habitaient à Djerba qui l’ont construite de leurs propres mains. D’ailleurs, elle se trouve précisément dans le quartier maltais de Houmt – Souk. C’est dans ce même quartier que se trouvent les fameux fondoks des commerçants maltais.
Celle-ci est-elle restée intacte ? L’édifice est-il comme nous le voyons aujourd’hui ?
Au fil des années, cette église a bien sûr subi des modifications. Elle a été agrandie au fur et à mesure que la communauté croissait. L’édifice que l’on voit aujourd’hui se compose de 9 centrales et de 9 latérales. La tour date de 1930 plus ou moins. Le style de cette église évoque l’architecture religieuse maltaise et non française. Il s’agit d’un style simple et très sensuel. Elle est un miroir de la communauté chrétienne d’alors. Modeste, celle-ci se composait de pêcheurs d’éponges, de charpentiers, de menuisiers…
L’église a fermé au moment de l’indépendance
Après l’indépendance de la Tunisie, exactement en 1964, un accord a été signé avec l’Etat du Vatican qui est responsable des églises catholiques dans le monde entier. L’église cède alors plusieurs bâtiments qui appartenaient au Diocèse (organisation de l’église) en Tunisie. Parmi les bâtiments vendus figurait l’église de Djerba. Il faut préciser que c’était aussi parce que la majorité des chrétiens avait quitté la Tunisie.
Par contre, des « sœurs » avaient continué à habiter dans les bâtiments juste à côté de l’église qu’on l’appelle le presbytère. Durant de nombreuses années, ce sont elles qui ont accueillis la petite communauté de chrétiens. Les offices et les célébrations de la religion chrétienne étaient assurés par des prêtres de passage.
Ce n’est qu’à partir de 2005 que les choses changent. Les chrétiens à Djerba devenaient de plus en plus nombreux. L’affluence des touristes se faisait sentir. L’île vivait une vraie révolution touristique et cela s’en ressentait sur la fréquentation du presbytère des sœurs.
En 2005, l’accord présidentiel pour réutiliser l’église pour le culte est proclamé. Après des travaux de restauration, l’église rouvre et on y célèbre la fête de Saint-Joseph, selon le calendrier catholique soit le 19 mars 2006.
Est-ce que les touristes venaient les dimanches à l’église ?
Absolument ! Ils venaient tellement nombreux que le grand salon dans lequel ils étaient accueillis durant les cultes n’était plus assez grand. Le salon de l’époque ne pouvait pas accueillir plus de 40 personnes. Dans les souvenirs de certains, on raconte que les dimanches et lors des grandes fêtes religieuses, il y avait beaucoup de monde dans la rue. La majorité des chrétiens restaient devant la porte !
Et c’est justement pour cette raison que l’église, qui a été utilisée par la municipalité comme bibliothèque et aussi comme salle de sport, a finalement été abandonnée.
Elle est abandonnée avant de rouvrir en tant qu’église ?
Oui. C’est à ce moment là qu’au vu la nécessité d’avoir un lieu plus grand pour les célébrations religieuses, le Diocèse a procédé aux démarches nécessaires auprès du Président Ben Ali pour voir s’il était possible, comme prévu dans l’accord de 64, de consacrer une nouvelle église à la communauté chrétienne à Djerba.
En 2005, l’accord présidentiel pour réutiliser l’église pour le culte est proclamé. Après des travaux de restauration, l’église rouvre et on y célèbre la fête de Sain- Joseph, selon le calendrier catholique soit le 19 mars 2006.
Lors de la restauration de l’église, les prêtres de l’époque tenaient à mettre en place des éléments rappelant la culture chrétienne locale. N’oublions pas que durant le 1er siècle, la Tunisie était vraiment le cœur de la chrétienté après Rome.
Comment s’est exprimé ce besoin de rendre hommage à la chrétienté tunisienne ?
Le signe le plus évident de la culture chrétienne du 1er siècle tunisien, ce sont bien entendu les mosaïques. Il tombait sous le sens de décorer l’église avec ! L’église a alors été ornée par des mosaïques représentant des copies d’anciennes œuvres retrouvées en Tunisie.
A ce titre, je vous donne l’exemple de la croix à l’autel. C’est une copie d’une croix originale qui se trouve à Sbeïtla. La plupart des mosaïques qui ornent l’église sont des répliques dont les originaux se trouvent au musée du Bardo. Une pièce fait référence à Ravenne en Italie. La croix qui se trouve au milieu de l’abside, c’est celle de San Damiano dont l’original se trouve à Assise en Italie.
Où se trouve la ville d’Assisi ? Pourquoi y rendre hommage?
Assise est la ville de Saint-François d’Assise, un des saints patrons très connus d’Italie. C’est une histoire un peu particulière ! En fait, Saint-François avait demandé au prêtre de rebâtir son église. Donc, quand l’église de Djerba est restaurée, elle lui a été (re)consacrée.
Retenez que les mosaïques qui ornent l’église sont toutes faites par des artistes et artisans tunisiens. Les tapis qui habillent les murs datent de la réouverture de 2006. Les colonnes et chapiteaux sont des originaux et sont faits à la main par des artisans maltais au début de 1900.
Lors de la restauration de l’église, les prêtres de l’époque tenaient à mettre en place des éléments rappelant la culture chrétienne locale. N’oublions pas que durant le 1er siècle, la Tunisie était vraiment le cœur de la chrétienté après Rome.
Aujourd’hui l’église a t-elle une activité régulière ? Des touristes viennent-ils y pratiquer leur culte ?
Absolument ! L’église est fréquentée par la communauté chrétienne de Djerba. Il y a toujours les touristes qui passent et qui sont de plusieurs nationalités. Dans l’île, il y a une grande communauté de résidents français et d’italiens qui viennent souvent.
Combien d’étrangers visitent l’église ?
Je n’ai pas de chiffres exacts mais on estime à environ 8 000 étrangers qui résident à Djerba. N’oubliez pas que cette église est l’unique dans toute la région de Médenine. Certes, il y a une église à Gabes, mais pour presque tout le sud, c’est celle de Djerba qui les réunit.
Les adeptes de notre église viennent aussi de Zarzis. Ce sont des français et des italiens, majoritairement des hommes retraités ayant décidé de passer leur retraites ici. Ils sont là pour la beauté de l’île et la douceur de vivre dans la région. Ils sont aussi là pour les avantages fiscaux que permet la vie en Tunisie.
Vous savez, il y a désormais une communauté linguistique diverse ici : des francophones belges et suisses. Il y a aussi des italiens et des allemands. C’est la raison pour laquelle, nos prières et nos célébrations se déroulent en trois langues. Cette option est prise pour donner à tout le monde la possibilité de participer, comprendre et se sentir engagé dans la prière.
En quoi consiste la prière ? Quand se tient-elle? Quel est son déroulé ?
Notre prière principale se tient le dimanche. Nous l’appelons la Messe. Elle se tient à 10h30 et en trois langues. Pendant la semaine, le soir, nous avons aussi une Messe qui est plus modeste et moins solennelle. Il s’agit tout de même d’une prière !
Qui est finalement cette communauté chrétienne à Djerba et dans la région?
De fait, la communauté est changeante, mais il y a une quarantaine de pratiquants fixes. Tous les dimanches, nous sommes environ 70 chrétiens à participer à la Messe. Par contre, durant les grandes fêtes, nous sommes autour de 200 personnes. Noël dernier, nous étions environ plus de 150 chrétiens pour la Messe de minuit.
Quels sont les projets de l’église de Djerba?
Nous commençons des travaux de restauration. La façade de l”église de Djerba a besoin d’être rénovée et son intérieur aussi. Durant ces travaux, nous allons réhabiliter un étage qui se trouve à côté dans le but d’ouvrir des espaces communs pour des activités pas forcément religieuses. Nous avons besoin de lieux pour des rencontres, des échanges, des partages…
Aujourd’hui, il y a une démarche pour inscrire Djerba au patrimoine mondiale de l’UNESCO. Celle-ci se bâtit autour d’un grand discours sur la tolérance entre les religions. Si l’île obtient le label, pensez que cela va apporter un plus y compris à la communauté chrétienne ici ?
J’ai été invité à intervenir et m’exprimer sur cette question à plusieurs reprises. Je comprends que les Djerbiens et les Tunisiens voient dans cette inscription un bien immédiat pour eux. Moi, je regarde un peu plus loin. Cette inscription est un point positif pour le monde entier !
En effet, aujourd’hui dans le monde entier, on se demande comment peut-on vivre ensemble ? Comment peut-on éviter les conflits entre les civilisations et les religions ? Je réponds souvent que Djerba peut être considéré comme modèle. Le monde entier doit connaître l’existence de Djerba et de toute son histoire. C’est un grand signe d’espoir !
Nous ne cachons pas qu’à Djerba, il y a eu certains conflits. Mais ce n’est pas grave ! L’essentiel, est de ne pas arriver à l’élimination de l’autre. Le plus important est le respect de l’autre.
Tous les Djerbiens et l’ensemble des tunisiens doivent savoir que nous avons là quelque chose de précieux. Nous devons le valoriser. Nous devons le conserver. Nous en sommes tous responsables.
Tous les dimanches, nous sommes environ 70 chrétiens à participer à la Messe. Par contre, durant les grandes fêtes, nous sommes autour de 200 personnes. Noël dernier, nous étions environ plus de 150 chrétiens pour la Messe de minuit.
Avec la démarche de cette inscription à l’UNESCO avez vous senti plus de conscience pour cela ?
Il faut du temps et il faut de l’éducation pour réveiller vraiment la conscience sur les trésors qu’on a. Rien n’est définitivement acquis ! Ce trésor risque de disparaître tout comme la paix entre les hommes. Il faut beaucoup de travail et d’efforts pour la préserver. Mais ce travail est passionnant. C’est comme une plante que je ne peux pas oublier. Je me dois de la soigner tous les jours. Et ce parcours fait partie intégrante de la paix elle-même. On ne peut pas les séparer.