Zembra

Avec ses airs juvéniles à ses cinquante sept printemps, il a tout du garnement espiègle capable de poursuivre un chat en haut d’un arbre juste pour lui tirer la queue. Mais lorsqu’il fixe un objet de son regard perçant, il s’abîme dans la concentration, dans la méditation qui le conduit au cœur des choses, pour en extraire l’essence et  l’exposer au regard incrédule du spectateur médusé. Mais qu’est ce que l’essence d’un instantané ? C’est l’émotion qu’il suscite, répond-il posément. Oui, Néjib est avant tout un sentimental qui va chercher ses sensations fortes dans les paysages naturels, mais aussi dans les attitudes et comportements de tous les vivants et dans leurs œuvres.

C’est dans sa prime jeunesse, dans sa fréquentation assidue des espaces culturels et des maisons de jeunesse, alors autrement plus actives et plu fécondes que de nos jours, que Néjib Chouk s’est progressivement éveillé à sa vocation future. Il a alors ouvert la boîte de pandore en confectionnant sa première « boîte à images », un appareil photographique rudimentaire qui lui a ouvert la fenêtre par laquelle il allait être aspiré dans le trou noir des boîte noires, des chambres noires, des négatifs, mais aussi, à l’autre bout du tunnel, dans la luminescence de la vérité de l’instant restitué.

Néjib Chouk est arrivé à la photographie professionnelle par le raccourci d’une formation intensive par correspondance pendant une période au cours de laquelle il s’adonnait également à la caricature et au dessin humoristique qui ont révélé son sens de l’humour mais aussi de la subtilité, de la pertinence … et de l’impertinence aux lecteurs de multiples publications périodiques, tels le Renouveau et Jeunesse Magazine et autres publications de Dar EL Amal auxquels il collabora durant de nombreuses années.

Le monde de la photo, il y entre de plain pied en 1989 où, puisant dans un déjà considérable fonds de vues moissonnées à travers tout le pays, il produit dans le cadre de Mirage, la maison d’édition qu’il venait de fonder(*), une série de cartes postales qui font date dans l’histoire de l’image touristique de la Tunisie contemporaine. Il innove dans la forme et dans le fond tant et si bien qu’il finit par s’imposer comme leader dans ce secteur. Parmi toutes, ses cartes postales se distinguent par leur charge émotionnelle, leur caractère insolite ou leur touche humoristique ; elles peuvent combiner photo et dessin et être surchargées de messages manuscrits ; elles se déclinent en format classique, mais aussi en des formes et dimensions inusitées : carrées ou « panoramiques » sur plusieurs volets. Pour autant, l’artiste ne s’endort pas sur ses lauriers.

Pour tenir le rythme, Chouk multiplie les reportages, que dis-je : les safaris. Dans les déserts du Sud parmi dunes et chotts, dans les airs pour des vues aériennes et où, une fois, se balançant en parachute, il risque d’y laisser sa vie en achevant sa descente en chute libre, heureusement dans la mer. Dans les profondeurs de la terre d’où il est le premier photographe-spéléologue à ramener des images d’une saisissante beauté.

Trente ans d’activités artistiques et professionnelles vont fournir à Néjib Chouk un fonds de 40.000 illustrations. Il le mettra en 2003 sur la « toile », créant ainsi la première banque tunisienne d’images (mirage-pix.com).

Dans le lot, il est des vues auxquelles l’auteur est plus particulièrement sensible, des coups de cœur auxquels il associe des émotions, des interpellations singulières. Avec celles-là, il organise des rencontres avec le public dans des expositions à thèmes telles ces « Ombres sur sable » qui s’est tenue en 2003 dans la galerie municipale de Sidi Bou Saïd et qui a rencontré un beau succès auprès du public tunisien et des touristes étrangers.

L’année suivante, l’artiste récidive avec sa deuxième exposition intitulée « Stalactites, Stalagmites » qui, pour la première fois fait découvrir au public la magie des grottes tunisiennes avec leur cristaux géants, leurs « salles » et leurs plans d’eau souterrains, certaines explorées à leur dernier niveau, par trois cents mètres de profondeur. Sa dernière exposition date de 2007. Elle a été placée sous le thème de « Lumière sur chott el Jérid ». Parti de l’aube au coucher du soleil sur « la Route du sel », pour « saisir les mirages miroitants et partager les regards floués par l’ingéniosité de la nature », le photographe en a ramené des instantanés d’une éblouissante beauté.

Néjib Chouk est considéré par les critiques comme étant « le plus peintre des photographes tunisien ». Ses photographies-tableaux plaident de manière fort convaincante pour l’élévation de la photographie au rang de création artistique à part entière.Tahar Ayachi

(*) Il est à noter que Mirage n’édite pas seulement des cartes postales mais également des cartes routières et, surtout des livres à caractère touristique ou artistiques telle cette série de livres de petit format consacrés aux destinations touristiques phares (Djerba, Monastir, etc.) ou au dromadaire. Par ailleurs, cette maison s’est associée au grand éditeur italien Bonecchi dans un ouvrage grand public sur la Tunisie.

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