Aujourd’hui, ce professionnel du spectacle revient en détails sur les obstacles qui bloquent son métier. Entretien avec Mille-et-une-tunisie.com

Mille et une Tunisie : Au-delà du volet artistique, «Jazz à Carthage by Tunisiana» est une entreprise. Quelle est votre évaluation de la situation concernant votre secteur d’activité? L’attitude de l’administration a-elle évolué en la matière depuis la révolution ?
Mourad Mathari : Notre secteur a, comme tous les autres, subi le contrecoup de la crise mondiale et des évènements en Tunisie. L’insécurité surtout durant l’année 2011 a gelé en quelque sorte l’activité. Par contre, à part les aléas conjoncturels, notre secteur continue de souffrir d’une certaine marginalisation et de procédures administratives qui gagneraient à devenir plus transparentes.

Les anciennes procédures du régime Ben Ali perdurent encore, plus d’une année après le 14 janvier 2011.Elles sont dénuées de bon sens et dissuadent toutes initiatives privées. Le parcours pour l’obtention des différentes autorisations, spécialement conçues par l’administration pour se protéger et faire de la culture sa chasse gardée, est digne du parcours du combattant ! Nous avons déployé de multiples actions pour sensibiliser les plus hauts responsables, rien n’y fait !

Peut-on parler tout de même d’entrepreneuriat culturel en Tunisie?
Les institutions de l’Etat sont exonérées de toutes formes de taxes alors que les sociétés privées sont assujetties à plusieurs taxes et droits. Le régime fiscal est totalement dissuasif et les procédures administratives font que c’est toujours l’Etat qui est privilégié. Il reste en position dominante. On peut alors comprendre que cela freine le développement des  secteurs de l’activité culturelle et de l’animation touristique en Tunisie.

Sous prétexte de problèmes de devises, la Banque centrale bloquait des contrats d’artistes qualifiés de coûteux. Coûtent-ils seulement plus  cher que les voitures de luxes importées, et par centaines, pour X ou Y ? La vérité est que la culture est loin d’être une priorité pour le pays. Pourquoi ne réussit-on pas à voir le potentiel économique de la culture. Un vrai secteur que plusieurs pays ont investi massivement et ils ont eu raison. Regardez leur retour sur investissements!

Il est encore malheureusement prématuré de parler d’entrepreneuriat culturel. Si par ses procédures et ses taxes, le ministère de la Culture pense maîtriser un secteur à la réputation pas toujours très bonne, il aboutit à l’effet inverse. Dans le secteur touristique, pour l’organisation des concerts ou des dîners gala ayant lieu dans des hôtels ou des espaces touristiques, on se joue des contrats avec la complaisance des services administratifs concernés! Est-il normal que les seuls qui soient volontairement pénalisés sont les professionnels qui évoluent dans la transparence ?

Est-ce que vous voulez dire que dans votre métier vous avez à faire à un concurrent de taille : l’Etat ou le ministère de la Culture?
Le Ministère de la Culture se positionne encore et toujours comme la plus grande agence de production artistique du pays. Est-ce son rôle ? Il est juge et partie en matière de cahier des charges, des différentes autorisations, de calcul des taxes, d’autorisation de change, d’octroi de subventions et organise les principaux festivals du pays… Je ne connais pas un pays où le ministère de la Culture a autant de prérogatives.

En fait, il devrait jouer le rôle de soutien en subventionnant et surtout en agissant au niveau des infrastructures. A ce niveau, nous sommes extrêmement pauvres! Nous n’avons aucune salle de spectacle couverte digne de ce nom à Tunis. Je ne parle même pas de l’intérieur du pays où l’accès à la culture est inexistant.
L’Etat doit se désengager au profit des professionnels de chacun des secteurs de la Culture que constituent le cinéma, le théâtre, la musique, la danse… Ce ne sont pas les compétences qui manquent pour mener à bien les manifestations existantes.

L’univers de l’évènementiel pourrait être créateur de valeur mais aussi d’image. Quelles sont les mesures que vous préconiseriez pour atteindre cet objectif ?

L’activité culturelle reste chez nous très marginale. Le potentiel du secteur ainsi que ses retombées continuent encore aujourd’hui d’échapper aux décideurs, responsables et investisseurs. Je ne rate aucune occasion pour le rappeler aux différents ministres et responsables ainsi qu’aux médias. De nombreux pays l’ont compris et ont réussi leur pari. Regardez le Maroc par exemple. Nous sommes à la traîne.

Quelles mesures urgentes préconisez-vous ?
L’instauration de procédures simplifiées, rationalisées et rapides (guichet unique), la réduction des taxes et droits, l’instauration d’une taxe unique calculée sur des bases claires et objectives aussi bien pour les privées que pour le public, la réorganisation de l’OTPDA, pour en faire un véritable organisme dédié aux droits d’auteurs et non un organisme contribuant au verrouillage du système…

De façon plus générale pourquoi la culture tunisienne ne parvient-elle pas à attirer suffisamment de financements privés ?
Il s’agit de la conséquence de plusieurs années de mauvaise gouvernance de la culture. Le Président déchu craignait les hommes et femmes de la culture d’où cette politique de “terre brûlée” mise en place pendant des années.

Par ailleurs, les entreprises veulent tirer profit des évènements pour une meilleure visibilité. Pour cela, ils n’ont pas besoin d’investir dans la culture mais plutôt d’atteindre les masses, ce qu’ils font très bien à travers les évènements sportifs essentiellement. Rares sont celles qui se soucient d’image, qui adhèrent à des valeurs et véhiculent une culture quelle qu’elle soit.
Les entreprises citoyennes ne courent plus les rues. Elles tentent de régler des comptes, de résister et peinent ou hésitent à soutenir la relance culturelle et touristique du pays.

Propos recueillis par Amel Djait

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