Moufadhel Adhoum est tunisien. Né en 1965 dans la médina de Tunis, il revient sur des souvenirs récents, sur la révolution du 14 janvier et sur le regard de l’autre. Il livre son actualité à Mille et une Tunisie. Entretien.

Mille et une Tunisie : De Belgique, comment avez-vous vécu la révolution du 14 Janvier?

Moufadhel Adhoum : J’ai suivi toute l’évolution à travers le téléphone, Internet, Facebook, les chaines de télévision par satellite et un peu la “maudite ” ancienne chaine Tunis 7. Minute par minute et avec la main sur le cœur, j’avais peur pour ma famille, mes compatriotes et ma patrie.

Le 14 janvier, j’étais en Espagne, à Bilbao pour un concert. Je ne me rappelle plus de ce que j’ai joué ni comment j’ai joué. J’ai suivi tous les évènements à l’aide d’un téléphone. Je réagissais à chaque nouvel évènement et partageais mes prises de positions et commentaires via Facebook. Je sais que ce n’est pas assez pour participer d’une manière efficace à cette révolution mais c’est déjà ça !

Quelles appréciations fait-on aujourd’hui de la Tunisie dans les médias belges, pays où vous vivez ?

La révolution tunisienne a été et continue d’être perçue de manière positive et les médias belges et européennes sont en général admiratifs. Je n’ai pas apprécié l’appellation “révolution du jasmin”. Aucune personne ne « vendrait » le sang ni la vie des martyrs, ni le meilleur avenir de leur patrie contre du jasmin. Mais le jasmin reste il est vrai l’un des plus beaux symboles de la Tunisie. C’est aussi une de mes senteurs préférées.

Le regard qui se porte sur vous en tant que tunisien et artiste a t-il changé depuis la révolution?
Me concernant, le regard n’a pas vraiment changé. Par contre, les médias et les gens ont plutôt tendance à démonter leur étonnement voire leur admiration pour notre révolution. Ils sont émerveillés que les Tunisiens aient pu renverser un pouvoir des plus tenaces avec le moins de “dégâts ” possibles. J’ai parfois même eu droit à des compliments. Bien évidemment ils s’adressaient au peuple tunisien et non à ma personne !

Des propositions artistiques entre la Tunisie et la Belgique où vous vivez sont-elles à l’ordre du jour?
Dans le domaine musical un échange existe mais reste encore assez restreint et limité. Une vraie interactivité artistique est un de mes grands souhaits. J’espère que dans le futur la Tunisie pourra s’ouvrir au maximum à ce genre de visions artistiques.

Comment l’artiste que vous êtes perçoit- il la situation en Tunisie aujourd’hui?

Aujourd’hui le pays est en train de flotter, du moins politiquement parlant et tout me semble encore instable. Cela n’est pas sans impact sur la culture et l’art qui dépendent vraiment beaucoup du politique. Je pense qu’après l’instauration de la Constitution, les choses pourront un peu s’éclaircir. Mais si la culture et l’art ne sont pas pris en considération dans la constitution, cela nous replongera dans l’ancienne ère. Pire qu’avant la révolution !

Avez-vous des projets en cours?
Les projets que j’aimerais réaliser en Tunisie sont toujours au stade de la théorie. Le jour où le terrain deviendra adéquat, je n’hésiterais plus une seconde.

Pour en venir à votre parcours, y a t-il des artistes qui vous ont particulièrement influencé ou inspiré?

J’ai appris la musique à travers le « Oûd » grâce au regretté Mr Abderrahmane El Mehdi, père du Dr Salah El Mehdi. Je lui devrais cela toute ma vie !

Mes influences sont assez variées. Mon apprentissage a été arabo-classique et j’ai été influencé par les 3 grandes écoles de musique arabe, à savoir l’école égyptienne, iraquienne, et andalouse. Concernant le Oud, j’étais influencé par Mounir Bashir (Iraq), Ali Sriti (Tunisie), Riadh Sombati et Farid Al Atrach (Egypte) pour ne citer que ceux-là.
Quelle est votre actualité?

Je continue mon chemin entre mes compositions, mes arrangements musicaux, les concerts et les présentations musicales à travers le monde en compagnie de mon groupe HIJAZ (www.hijaz.be). Je me produis aussi en quartet, trio et en solo. J’ai aussi de nombreuses collaborations avec d’autres artistes chanteurs.

Des concerts en Tunisie pour bientôt?
Rien de concret encore. Le dernier concert que j’ai joué en Tunisie était en 2010 dans le cadre du Festival de la musique instrumentale au Théâtre municipal. Je ne veux pas m’imposer ni courir après les organisateurs… Le climat culturel et artistique en Tunisie sera bientôt favorable et je me ferais une joir de revenir jouer chez-moi.

Vous êtes un grand spécialiste de l’Oud. Peut-on parler d’une école tunisienne?

Nous ne pouvons pas parler d’une vraie école d’oud en Tunisie. Cet instrument a toujours été perçu et utilisé comme un instrument d’accompagnement qui interprète des pièces musicales instrumentales, des chansons ou d’improvisations, etc.

Par contre, nous pouvons parler de deux différentes tendances de joueurs d’oud talentueux. Ils démontrent et ont fait preuve d’une diversité de jeu et d’une grande maitrise de l’instrument ainsi que d’une remarquable capacité d’improvisation et d’interprétation.
On ne peut pas ne pas citer Ali Sriti ou Ahmed Kalai pour le style classique et Anouar Brahem ou Zine El Abidine pour le style innovateur et fusion.

Moufadhel Adhoum
Luthiste/Compositeur
www.moufadhel-adhoum.com
http://www.myspace.com/moufadheladhoum

{mainvote}