Trio créatif de Fc-ka

Mille et une Tunisie: Inter-dit est l’intitulé d’une  exposition qui se tient actuellement à la galerie « El Marsa ». En tant que peintre, êtes-vous davantage dans l’interdit, le dit, le non dit ou l’inter culturalité, l’interdépendance….?

Héla Ammar: Phonétiquement, Inter-dit renvoie à la signification même du terme à savoir tout ce qui n’est pas permis. Tout ce qui est prohibé. Avec le tirét, Inter-dit renvoie à un questionnement plus large. Mon but n’est pas tant de situer l’interdit, que de se situer face à ce qui est vécu comme tel. L’interdit est multiple : social, religieux, culturel, extérieur, personnel, exprimé, refoulé, réel ou mensonger. Selon la personne et la nature de l’interdit, celui-ci est vécu de diverses manières. L’interdit n’est-il pas aussi nécessaire à la construction psychique ? L’enfant n’a t il pas besoin de limites pour se construire? Dans cette dimension, il est un élément d’identité, d’affirmation d’un Soi différent libre et indépendant. Il est également destructeur, car source de remords et de culpabilité.

Pourquoi ce choix ?

Le choix de ce sujet s’est imposé face au constat de l’inflation des discours moralisateurs dont la femme fait souvent l’objet dans le monde arabo-musulman. Séductrice, tentatrice, pécheresse, diabolisée, on semble lui faire porter le lourd héritage du péché originel. La faute, devient selon certains types de discours une partie intégrante de l’identité féminine. Il en résulte souvent une sorte de schizophrénie pour la femme, moderne et émancipée. Elle est alors prisonnière d’un regard réprobateur et culpabilisant. Je ne prétends pas à travers cette exposition traiter le sujet ou même l’analyser. Il s’agit pour moi d’évoquer l’ambigüité du statut de la femme dans des sociétés où modernité et archaïsme continuent à s’affronter.

Vous détenez un doctorat en droit des affaires et avez été initiée à la peinture et à ses techniques par Mahmoud Shili. On parle de vous comme de l’une des artistes remarquées de votre génération. Selon vous, existe-t-il déjà une patine Héla Ammar?

Cette exposition rompt un peu avec les précédentes où il s’agissait plus de paysages abstraits et de nus. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de projeter sur la toile des ambiances ou des lumières donnant uniquement à ressentir ou à rêver. Il s’agit maintenant de témoigner d’une partie de mon vécu en tant que femme. Il est vrai que j’expose aussi un peu plus. Comme tous les artistes, je suis une véritable “éponge”. Je m’imprègne de tout ce qui m’entoure, entends et vis. Tout cela est ensuite mis en scène, sublimé et exprimé.

Par rapport à ma formation, elle a été assurée par Mahmoud Shili. Au bout de cette formation, j’étais complètement imprégnée de son univers, de sa palette, de ses voûtes et de ses ambiances embuées. J’ai vite constaté que si techniquement le résultat était bon, je ne me reconnaissais pas du tout dans cette peinture. J’ai alors arrêté de peindre et pendant longtemps. Le temps de prendre le recul nécessaire pour savoir où je me situais et ce que je voulais exprimer. Je me suis trouvé ma manière de peindre et ai adoptée une approche plus personnelle. De là à savoir s’il y a une patine propre à Héla Ammar, je laisserai le soin aux commentateurs et critiques de le déterminer.

Si vous deviez vous initier à l’une de vos œuvres ?

Ma peinture est abstraite et peut faire l’objet d’interprétations diverses. Dans » Inter-dit «, elle est fortement symbolique. On y découvre des symboles qui renvoient à la réalité de l’Homme. On y entrevoit l’univers de la femme prise entre le besoin de se conformer à ce qu’on lui impose et le désir de s’en libérer.

Dans mes toiles, on découvre des pommes d’amour qui sont un clin d’œil aux interdits de l’enfance (trop sucrées, pommes imparfaites) et un emprunt gourmand au mythe du fruit interdit. Les papillons, symboles de féminité et de renaissance, tournent autour d’une pomme et se revêtent de noir comme pour intégrer des cieux incertains. Le rouge- qui cerne plusieurs toiles- passe de l’ardeur au danger. Des écritures indéchiffrables apparaissent comme des réponses improbables qui rassurent et inquiètent. Des lignes de failles traversent la toile comme des chemins de vies qui se cherchent et se fuient.

On retrouve dans votre travail des inspirations japonisantes, D’ou viennent-elles?

Certains retrouvent dans ma peinture une inspiration japonisante. Cela est certainement dû au fait que ma peinture est essentiellement gestuelle et que les aplats ainsi que les espaces “vierges” y tiennent une place importante.

Quelles sont vos inspirations tunisiennes ?

Je puise mes inspirations tunisiennes dans mon environnement et dans l’œuvre de nos artistes. J’en admire  plusieurs chez les modernes et les contemporains. Savez-vous que les inspirations et les influences sont souvent inévitables inconscientes ? On se rapproche finalement de ce qu’on aime, non pas pour le reproduire mais pour l’intégrer et le faire ressortir sous une forme différente et conforme à sa propre sensibilité. Il en résulte que même en cas de ressemblances, celles ci restent infimes. Chaque artiste garde son propre univers. C’est à mon avis, ce qui fait la richesse de la scène artistique.

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