Gwenaëlle Girard

Depuis septembre dernier, elle est en résidence en Tunisie jusqu’en juin 2011 afin d’explorer un peu plus les savoir-faire et les techniques artisanales dans le domaine des fibres végétales. Mille et une Tunisie l’a rencontrée afin de mieux comprendre sa démarche et son approche.

Mille et une Tunisie : Pouvez-vous nous parler de votre formation, de votre parcours et de votre rapport à la Tunisie ?
Gwenaëlle Girard : Je suis designer indépendante diplômée en 2008 de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. Au fil de mes voyages, notamment en Inde, je me suis intéressée à la relation entre les savoir-faire traditionnels artisanaux et le design. Dans ce contexte, j’ai travaillé en France une année entière avec des artisans vanniers du Limousin autour de leur savoir-faire : cintrage à l’étuve et vannerie de lamelles. De cette collaboration est née une collection de mobilier «en boucle», récompensée par le label de l’Observer du design en 2010.
C’est alors que l’Institut Français de Coopération de Tunis ayant eu connaissance de ce projet et de ma démarche globale, m’a contactée pour développer deux workshops avec des artisans tunisiens dans le domaine des fibres naturelles (palmier et jonc). Est né de ce travail avec Kerkenatiss à Kerkennah et avec Abdelaziz Ben Abda à Nabeul le développement d’une gamme d’objets domestiques édités chez Monoprix Maison Tunisie : guéridon, corbeille, assise.

Mille et une Tunisie : Pourquoi une résidence d’un an en Tunisie ?
Comme je vous le disais, la relation entre artisanat et design est ma spécialité. Je l’envisage dans une optique de développement durable et de préservation d’un patrimoine immatériel. Je me sentais un peu frustrée par le manque de temps dont j’avais disposé lors des workshops organisés par l’IFC pour travailler autour des savoir-faire de l’artisanat tunisien et développer certaines idées. J’ai eu envie de revenir en Tunisie pour approfondir et étendre ce travail à d’autres savoir-faire. J’ai donc sollicité et obtenu une bourse auprès des organismes français Cultures France (bourse Hors les murs) et Fondation de France (bourse Déclics Jeunes)
Je continue donc depuis mon arrivée à travailler avec Kerkenatiss et Abdelaziz Ben Abda. Et cette année, je vais également travailler la fibre d’alpha avec un artisan de Kasserine.

Mille et une Tunisie : Concrètement, comment travaillez-vous avec ces artisans ?

J’observe beaucoup dans un premier temps afin de comprendre la technique, la façon de travailler de l’artisan. Il s’agit à ce stade, pour moi, de me familiariser avec la matière (palmier, jonc, alpha, châtaigner, etc.), de comprendre son histoire et les techniques mises en œuvre.
Ensuite, dans un deuxième temps, j’essaie d’apporter mon expertise de designer pour, en étroite relation avec l’artisan, essayer de trouver des solutions pour améliorer une technique, la connexion des différents éléments, la façon de tisser, le gain de temps ou explorer de nouvelles formes.
Par exemple, nous avons mis au point avec l’artisan nattier Abdelaziz Ben Abda une chaise en kit dont l’assise est réalisée avec une natte d’un seul laie. Pour permettre cela, l’artisan a tissé le jonc avec du coton pour créer des parties souples qui permettent ainsi à la natte, normalement rigide, de se plier et de s’envisager ainsi en volume. Le résultat : la natte se fixe sur une structure en bois pour créer un fauteuil.

Mille et une Tunisie : Quel regard portez-vous sur l’artisanat tunisien ?
L’artisanat tunisien est riche de formes et de techniques, je trouve simplement dommage qu’il n’y ait pas de formation spécifique du type “artisanat d’art” dans ce domaine. Les artisans se transmettent leur savoir-faire de père en fils. A mon sens, ils n’ont pas suffisamment de recul par rapport à leurs techniques ce qui leur permettrait de les décomposer, de les améliorer, de les renouveler ou de les associer à d’autres. De plus, la production artisanale tunisienne a du mal à se projeter sur du long terme. Certains artisans sont débordés et refusent des commandes, alors que d’autres n’ont pas de quoi travailler. Pour qui et pourquoi les artisans travaillent-ils ?
L’autre exemple est lié aux débouchés de la production. Je pense aux meubles en bois de châtaigner qui étaient complètement délaissés en France. Une intelligente campagne de communication a été organisé par le parc naturel régional du Limousin afin d’inciter les hôtels, gîtes ruraux, chambres d’hôtes, restaurants, bars… de la région à se meubler avec l’artisanat local. Le pari a été gagné et cela a été la meilleure des publicités pour tous ! J’aimerais beaucoup voir dans les hôtels de Nabeul et Hammamet, par exemple, des nattes et du mobilier en jonc…

Propose recueillis par Aurélie Machghoul

En savoir plus :
Blog de Gwenaëlle Girard

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