elle est incontourable en termes de points, de motifs et de couleurs. Entretien conduit par Olfa Ben Hassine
Mille et une tunisie: Vous avez partagé plusieurs heures de travail avec les femmes tisseuses de Tunisie. Que gardez-vous de ce moment ?
Fatma Samet: Beaucoup de plaisir et d’échanges réciproques. J’ai tissé avec les femmes de Jbiniana, de Ghomrassen, de Tataouine, de Gafsa. Dans certains endroits les femmes tissent elles-mêmes leurs étoffes, dans d’autres ce sont les hommes qui se chargent de cette étape. La plupart du temps les femmes s’occupent de la partie savante du tissage. Elles lavent, cardent et filent la laine selon leurs besoins puis la teignent en rouge pourpre ou noir bleuté. Elles recourent à toute leur sensibilité pour transformer les simples pelotes de fil de laine en tissus, en surfaces. Les artisanes maîtrisent lors du filage de la laine le langage binaire (le pair et l’impair) à la base du système informatique mais aussi du tissage. Je suis toujours étonnée de voir des femmes illettrées manipuler des données qui relèvent d’un sens de l’abstraction, de la mémoire savante et d’une forte capacité de calcul.
A votre avis la tradition continue-t-elle à être préservée ?
Jusqu’aux années 30, on n’a pas relevé de fausses notes dans la production du tissage. Les femmes rurales ont continué à recourir à la teinture naturelle qu’elles utilisaient avec beaucoup de goût mêlé à une naïveté et à une spontanéité naturelles pour fabriquer leurs drapés, leurs couvertures et leurs revêtements muraux qui servaient aussi de couvertures. Avec l’invasion des couleurs chimiques, elles ont perdu le Nord. A mon avis il faudra combler cette défaillance en faisant appel à un autre système , à savoir la formation. Il s’agit aujourd’hui de croiser les deux compétences, le savoir traditionnel et le savoir classique (l’école, l’université) qui doivent se compléter et non pas s’opposer. Tous ceux que j’ai croisés parmi les tisserands m’ont permis d’évoluer. Je leur ai aussi permis d’avancer dans leur travail.
Comment mieux commercialiser les tissages tunisiens ?
En encourageant l’instauration de labels pour chaque région tels que le kilim de Gafsa, le kilim de Toujane, le tissage de Kerkennah. Aujourd’hui, en insistant sur l’origine des produits, en les enracinant dans leur terroir et en les accompagnant d’une histoire forte, comme l’histoire d’El Kemla pour le tapis de Kairouan, on va à la rencontre d’une tendance importante du marché international, à savoir l’orientation vers l’ethnique.
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