FATARIA est l’histoire de 4 personnages que tout oppose mais que la vie de tous les jours dans une Tunisie de 2004 rapproche. Les protagonistes principaux de la comédie, qui sort dans les jours à venir sur les écrans, partagent un quotidien difficile, d’une violence inouïe qu’ils rendent supportable grâce au « Système D » et à la « tawa nsselkouha- thérapy. Un désarroi que vit une grande majorité de la population tunisienne à l’époque sur fond de la tenue d’un sommet Arabe ; une image carte postale qui ne trompe personne. Amel DJAIT
Pour replonger en 2004, le réalisateur Walid Tayaa use et abuse de la culture du mauve, des communiqués de presse élogieux et des messages pompeux à l’égard d’une Tunisie baignée dans une dictature à peine déguisée et soutenue par un discours politique bien huilé : La Tunisie est alors présenté comme un pays stable où la santé et l’école sont garantis pour tous et les indicateurs économiques sont au vert.
Sauf que dans cette critique-chronique d’un pays paisible, les prémices de la Révolution pointent. Et, c’est à coup de scalpel que le réalisateur dessine la colère qui gronde. Il saisit, sans la figer, une folie qui s’empare d’une population bafouée dans ses droits les plus élémentaires. Il se veut témoin d’un temps révolu. Pas tant que ca !
Walid Tayaa donne le dernier coup de manivelle à son premier long métrage en 2017. Le film relate une histoire qui se déroule en 2004 et qu’il présente en 2019 au public, soit prés de 9 ans après le changement du régime et la chute de Ben Ali. Le réalisateur fait le choix de rester sur sa « timeline » originelle. Même s’il peint par petites touches les scènes de la vie quotidienne post-révolution, le propos reste celui de documenter un temps et ne pas prendre position.
Walid Tayaa précise : « Ne pas consigner dans une œuvre la révolution comme un acquis tant que celle-ci est encore en cours. Je refuse de tomber dans l’euphorie alors que la vie des gens reste la même et que nos politiques post -14 janvier sont toujours dans ce même déni de réalité. Arrêtons de croire que nous sommes le centre du monde et que celui-ci nous admire ! Le film raconte la petite histoire d’un vieil homme qui veut un rendez vous chez le médecin. Sa journée vire à l’enfer. On évolue entre la rage et l’hystérie collective… ».
Avec un parti pris de voyeurisme, la caméra scrute les expressions, aiguise les conflits, glisse au travers d’une porte et capte un gros mot ou un flagrant délit de corruption ou les prémisses d’une folle saoulerie.
Salha est celle qui concentre le plus cette folie. Magistrale, Rim Hamrouni qui campe le rôle est un cyclone. Pour subvenir à ses besoins, elle passe de pleureuse pendant les décès à danseuse dans les fêtes de mariage. Usant de mensonges et vendant de l’alcool, elle cache de la drogue dans le cercueil d’un mort. Folie ! Pure folie ! Une folie tornade de folies!
Pensé comme une autopsie, ce film qui respire la vie est un voyage dans une névrose. Si durant les de 87 minutes de Fataria on rit à plein poumons, il n’en reste pas moins vrai que le stress finit par s’installer tant la réalité décrite en 2004 est la même que celle que l’on vit aujourd’hui.
Tout ca pour ca serait-on tenté de penser ? C’était déjà si explosif à l’époque ? Avons-nous déjà oublié ? Oui, répond Walid Tayaa : « La carte postale a changé mais nous sommes toujours enfermés dans l’inaction. Nous subissons la dictature de l’image narcissique. Au lieu de travailler, nous sommes en train de nous caresser le nombril. En 2004, le discours était aux antipodes de la réalité et ce n’est guère mieux aujourd’hui. Où sont les politiques ? A qui s’adressent –ils ? Que savent-ils de ceux à qui ils parlent ? A ce jour, le quotidien des gens est le même que celui de FATARIA, voire pire. »
Et c’est précisément le personnage d’Ammar (Issa Harrath) qui raconte le mieux ce parallélisme. En 2004, Ammar essaye de se faire soigner à l’hôpital public. Malmené de bureau en bureau, ne réussissant pas à obtenir la moindre attention, il finit par exploser de rage, agresse un responsable et conduit un mouvement de groupe augurant de la violence quotidienne qui s’est installée dans tous les hôpitaux de Tunisie ces dernières années.
Hamadi (Jamel Madani), électricien, doit réparer un réseau dans un immeuble délabré, peuplé de morts vivants, provoquant des hallucinations dont la plus belle est Mme Naziha (Sabeh Bouzouita)une quinquagénaire divorcée qui habite l’immeuble et qui vit une dépression chronique. Même l’artiste marginalisée, campée avec hauteur par Nadia ( Nadia Saïji), chorégraphe, tente de répéter avec ses danseuses malgré un vacarme insupportable, provenant d’un chantier voisin, tenu par un homme corrompu finit par craquer. Sa force de résistance face à la corruption et à la mise en index du public.
FATARIA pour dire chaos, pour exprimer la folie et pour probablement appeler à une vraie révolution; celle des mentalités, de la citoyenneté et de la responsabilité partagée. Si aujourd’hui le film finit dans une voiture de police et des protagonistes aux arrêts et en état de choc, la scène finale est noyée dans un flou et pas seulement artistique! Gageons que tant que la grande histoire est toujours en cours, l’espoir et la “Tawa Nsselkouha” pour de bon sont toujours permis !
A noter que la sortie nationale du fil FATARIA est prévue le 25 septembre 2019.
SYNOPSIS:
Mai 2004. Tunis en ébullition : c’est le Sommet Arabe. Dans cette atmosphère frénétique et burlesque, nos personnages se croisent sans jamais vraiment se rencontrer, s’efforçant de résoudre leurs problèmes personnels. Le Sommet Arabe est une réussite, les discours grandiloquents envahissent la ville pendant que nos personnages, se démènent pour survivre.