Emmanuelle Temimi

À l’occasion de l’ouverture prochaine de la GALERIE DES ATELIERS de Slim Ennaceur (courant juin 2010), où les œuvres d’Emmanuelle Temimi Blanc seront à l’honneur avec une expo intitulée « Jeux de Lignes, Jeux de Vies », Mille & 1 Tunisie s’est penchée sur l’univers de cette artiste peintre à la renommée internationale (expos personnelles à Paris, Lyon, Copenhague, Anvers …) et au parcours atypique, dont le cœur a définitivement élu domicile en Tunisie.

Entretien avec Emmanuelle Temimi Blanc. Par Aisha Ayari.

Avant de parler de votre future expo « Jeux de Lignes, Jeux de Vies », pourriez-vous nous planter en quelques mots le décor illustrant votre parcours ?
Je suis architecte d’intérieur et designer de formation.  C’est en tant que telle que je suis envoyée en mission en Tunisie il y a 13 ans de cela déjà. Séduite par la couleur et la lumière du pays, j’ai fait le choix d’y élire domicile et de me tourner définitivement vers la peinture. Mes premiers flirts avec la peinture remontent à une première création de cartes de vœux avec des signes et de la couleur, effectuées lors de mon séjour au Sinaï. Quelque temps après, j’ai trouvé mes cartes encadrées chez les amis et la famille. Mon premier succès d’estime !  L’envie de peindre a rapidement refait surface en Tunisie, fascinée par la couleur, la lumière du pays et par ses épices.

Parlez-nous de votre peinture, et de l’influence de la Tunisie sur votre univers, si influence il y a.
Au début, je ne peignais qu’avec des pigments naturels (rouge, orange, bleu), prise par l’envie de creuser mes signes, comme une trace, une empreinte : traces archéologiques, symboles,… sans le savoir, je me suis tournée vers la trace. Le signe est devenu mon langage, puis mon écriture. En y repensant, l’invention d’un langage propre n’est sans doute pas étrangère à mon handicap face au dialecte tunisien, du moins dans mes premières années à Tunis.  Mes toiles, parsemées de signes et symboles, étaient telles des palimpsestes : créer une écriture première, l’effacer puis y revenir pour réécrire par-dessus. À cela s’ajoute l’influence des symboles des poteries de Sejnane et de vieux tapis berbères. Après tout, le grand Rachid Koraïchi était mon maître !

Pourtant, vos toiles semblent aujourd’hui s’éloigner de cet univers premier. Peut-on dire que votre peinture a connu une évolution progressive vers l’abstraction du signe ?
Progressive, certainement pas ! Il y a eu une cassure, un changement de vie, donc de peinture, d’écriture, et là les signes ont commencé à s’effacer, voire devenir muets, en tout cas plus abstraits. Changement radical dans la couleur également : de flamboyante, elle est devenue coquille d’œuf, blanche, voire transparente. Après cette cassure, quand le blanc est arrivé, ma recherche n’était plus le signe, mais la matière. Ma peinture fixe, capte le regard pour le plonger dans un univers et lui faire remonter de sa mémoire une rêverie, une émotion, un instant de sa propre existence.

Y a-t-il une constante, un fil conducteur entre ce qu’on pourrait définir par les deux grandes périodes de votre peinture ?
Bien sûr ! Il y a toujours cette référence au passé, à l’émotion, mais qui s’entremêlent aujourd’hui dans une abstraction totale : on peut retrouver un langage où chacun va y inscrire sa propre lecture. C’est la matière qui devient force : seule reste la ligne. À présent, si j’utilise encore les pigments naturels, je les mélange à l’acrylique, l’huile à l’eau, avec, toujours, l’épaisseur de la matière. J’adore gratter, chercher, m’enliser,…me fondre dans l’empreinte.
Deuxième constante : je travaille toujours à partir de mon carré dans la toile, abstrait, mais toujours géométrique : petit à petit, se dessine l’horizon, une ligne horizontale, comme une trace dans le temps, reliant l’action, le passé, l’intemporel. En ce moment, je joue beaucoup avec les nuances du gris au gris bleu, avec, toujours, cette fente de rouge, tel un ersatz d’un rouge autrefois omniprésent dans mes toiles.
Ma démarche s’inscrit toujours dans une dualité complémentaire : identifier/interpréter, puis déchiffrer/décrypter.

Votre exposition à venir,  intitulée « Jeux de Lignes, Jeux de Vies », traduit-elle cette évolution  ou s’inscrit-elle plutôt dans une autre mouvance ?
Créée spécialement pour l’inauguration de la Galerie des Ateliers, espace en parfaite symbiose avec mon univers pictural, l’exposition Jeux de lignes, jeux de vies, semble également marquer un début de quelque chose d’impalpable pour le moment, en tout cas un mélange, l’alchimie d’un retour vers le passé et d’une projection vers un noir lumière, qui a sans doute éclos en moi lors de la « sublissime » dernière expo de l’immense artiste Pierre Soulages (“Soulages” au Centre Georges Pompidou, du 14 octobre 2009 au 8 mars 2010). Ses toiles, telles un mur où on est capté et happé par la lumière qui en ressort, m’ont irrésistiblement donné envie de peindre du noir.
…Mais pas que du noir !  Il y a aussi du blanc coquille d’œuf, de la matière stratifiée en une superposition de couches, comme de la pierre, des murs passés, la trace, le temps qui passe… Des jeux et des « je » de lignes entrelacées, superposées, entrecoupées, des lignes de vies,….Que pourrais-je ajouter, sans trahir ce que je pense, à savoir que pour moi, un artiste qui s’exprime dans une œuvre ne cherche ni à s’expliquer, ni à se justifier ? Libre à vous d’y trouver sa propre empreinte.

D’autres projets en cours en Tunisie et/ou à l’international ?
Je dirais, deux types de projets, parallèles et complémentaires : en tant que peintre, j’ai des projets d’expos de groupe en cours pour Dubaï, Abu Dhabi,…  et une expo perso prévue à Bâle début 2011. Le deuxième amorce un come back du design : création d’une ligne, d’une collection en train de se dessiner, en partenariat avec un associé étranger. Affaire à suivre !

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