La Tunisie à deux saisons et deux visages. L’année se divise en mois, ceux-ci se regroupent en saisons qui sont, paraît-il, au nombre de quatre (pour combien de temps encore ?) En Tunisie, et depuis longtemps déjà, on fait avec deux grandes saisons : celle du littoral et celle du pays profond. Deux catégories propres à nous et qui, dans leur alternance, nous font affluer vers les plages ou refluer vers l’intérieur des terres. En gros, d’octobre à début mai, on apprécie la nature agreste dans tous ses états ; entre mai et septembre, on préfèrera la douceur du climat doux et tempéré du ruban côtier. C’est ainsi. Par Tahar Ayachi
La Tunisie de l’intérieur offre d’immenses ressources touristiques, naturelles et culturelles, exploitables en fonction de l’état de la météo, aujourd’hui -heureusement- prévisible assez longtemps à l’avance, ce qui autorise l’anticipation en matière de planification des sorties. Aux premiers jours du printemps, il est recommandé de fréquenter les endroits moins accessibles en périodes pluvieuses, à cause de la nature glissante du terrain et/ou des crues des oueds. Tel est le cas de notre destination, cette fois, et qui va nous conduire dans la délégation de Thibar dans le gouvernorat de Béja.
Singulière excursion que celle qui, dans un mouchoir de poche, va nous présenter de la Tunisie deux visages très contrastés, bien que se faisant face par-dessus un val parcouru par un cours d’eau, à une distance de seulement sept kilomètres : Thibar et Djebba. Thibar, chef-lieu de la délégation, se situe à 30 km de Béja, sur la bretelle reliant celle-ci à Téboursouk. Un très beau parcours, d’abord dans ce régal de vallée de la Méjerdah puis sur le relief boisé de Dorsale par un tracé sinueux qui, au gré des détours, offre de très belles perspectives (bien plus beau encore lorsqu’il est parcouru dans le sens inverse).
Thibar : un bout d’Europe en Tunisie
Thibar, perché à plus de 500 m, est une création à 100% coloniale. Elle a été fondée par la confrérie religieuse catholique des Pères Blancs vers la fin du XIX° siècle. Ils ont édifié là un séminaire, mais également un établissement d’enseignement technique et agricole et des installations pour faire tourner un immense domaine qui se répand des hauteurs boisées par leurs soins sur les coteaux plantés de vigne qui ont donné les vins de Thibar et sur la plaine de l’oued de même nom. Là, ils ont également mis au point la fameuse thibarine, une liqueur à base de dattes et d’autres ingrédients locaux (ils ont omis de transmettre les secrets d’un grand vin de messe et d’un sacré mousseux appelé Médaillon Vert, aujourd’hui disparu) et créé les races bovine et ovine appelées elles aussi thibar, et qui sont particulièrement adaptées au climat et aux besoins tunisiens.
Comme en bien d’autres endroits du même genre, l’urbanisme de cette localité, à l’origine purement provincial de France, a été altéré par les rajouts ultérieurs incongrus et préjudiciables à l’harmonie de la localité. Heureusement, on décèle dans le bâti actuel, surtout dans les locaux administratifs, une tendance nette au retour vers le cachet originel. De toute façon, la plupart des locaux, en particulier le beau séminaire, aujourd’hui école d’agriculture, sont encore plus ou moins bien conservés. Il ne faut pas hésiter à forcer un peu les portes pour pouvoir, fût-ce à distance, admirer ce décor étonnant en plein milieu de la campagne tunisienne. Cela ne vous donnera évidemment pas accès à l’intérieur des locaux, ni à l’administration du domaine où un pur chef-d’œuvre d’ébénisterie attend le visiteur privilégié qui peut accéder à l’ancienne salle de réunion de la direction religieuse, ni encore aux superbes caves souterraines du chai. Essayez toujours de voir le maximum, de préférence en compagnie d’un guide local improvisé qui saura vous orienter (n’oubliez pas le geste qui entretient l’amitié, surtout dans les endroits moins bien lotis)
Une fois la visite de Thibar achevée, laissez-vous glisser jusqu’au creux de la vallée. Là encore, vous avez intérêt à être accompagné pour parvenir, à environ un kilomètre plus bas au site archéologique de Thibari qui s’incruste au cœur des anciens champs céréaliers des Pères Blancs. Le site jouxte le plan d’eau d’un petit barrage sur l’oued Thibar dont les berges offrent des tableaux bucoliques d’un charme infini. Le site archéologique n’a été que très sommairement fouillé. Il s’étale sur plusieurs hectares livrés aux herbes folles et ponctués de vestiges qui ne manquent pas d’intérêt : un tronçon d’aqueduc, des citernes et des greniers, des restes de villas, d’église et même d’une basilique d’époque byzantine. Rien de très spectaculaire mais beaucoup d’agrément, surtout pour une éventuelle pause pique- nique.
Les jardins suspendus de Djebba
On reprend la route dans l’axe qui nous a amené de Thibar et on fonce vers Djebba incrusté dans le relief qui fait face au chef-lieu et s’élève en muraille jusqu’à une altitude de près de 1.000 m au sommet dit jebel Gorraâ. C’est dire si l’on entreprend une belle escalade par une route qui, d’abord, serpente paresseusement au creux du val puis part à l’assaut du flanc de montagne, se tortillant, se tordant en lacets très serrés qui, par endroits, surplombent le vide.
En cours de route, on aura rencontré les premiers « monuments » de Thijibba Bure (nom antique de Djebba que d’aucuns, et tout à fait à tort, prononcent « Jebba ») : ce sont les anciens gisements miniers de galène et de calamine, déjà exploités à l’époque romaine et remis en service à l’époque coloniale, période de laquelle datent les installations visibles à flanc de montagne et qui ont été abandonnées depuis plusieurs décennies. A l’approche de la localité, la route se scinde en deux branches pour y mener par deux entrées différentes mais qui se rejoignent au pied du mont Gorraâ, tout en haut du village.
Djebba se caractérise par la dispersion de l’habitat qui est disséminé parmi la luxuriante végétation des parcelles accrochées à flanc de montagne. A l’époque coloniale, une école primaire a été très tôt implantée ici et c’est elle que l’on rencontre en premier en pénétrant dans le périmètre communal, de même que quelques modestes locaux de style européen. Cet ensemble constitue le noyau d’une localité en devenir. Pour autant, il ne faut pas conclure que ce mode de vie a toujours prévalu ici. La Dachra, dominant les parcelles du haut d’une plateforme au pied du Gorraâ, est l’héritière de Thijibba Bure dont elle a hérité l’emplacement stratégique…et quantité de matériaux de construction qui entrent dans le bâti traditionnel, aujourd’hui pratiquement déserté, hormis la vénérable petite mosquée, toujours en service.
Les parcelles, de véritables jardins suspendus, sont arrosées de multiples sources qui coulent à longueur d’année. Le système d’irrigation s’effectue à la manière du Jérid, c’est-à-dire qu’il passe d’une parcelle à l’autre où des dérivations permettent l’arrosage de carrés plantés d’arbres fruitiers, de figuiers à la réputation nationale et produisant en abondance les fameuses figues zîdî deux fois l’an, en juin et en septembre, ainsi que d’ oliviers aux fruits tout à fait biologiques et donnant l’une des meilleures huiles de Tunisie que des importateurs allemands récupèrent presque en totalité. Les maraîchages occupent le reste des superficies.
Les flancs est et sud du Gorraâ sont creusés de plusieurs cavités naturelles. La plus grande, une véritable cathédrale de plein air, a été baptisée par les Pères Blancs Notre Dame du Gorra. Ils y avaient installé une chapelle dédiée à la Vierge dont une statue, du haut d’une niche aménagée au sommet de la paroi, veillait sur les fidèles qui venaient ici en pèlerinage lors de cérémonies célébrées par les religieux, surtout pour fêter l’Assomption (le 15 août). Cette statue a fait, en 1990, l’objet d’une tentative de vol organisée par des contrebandiers italiens. Au moment d’être hissée hors de la grotte, la corde s’est cassée et la statue est tombée, se brisant en plusieurs morceaux que les villageois conservent dans l’espoir d’une improbable restauration (la fonte n’étant pas soudable), espérant même pouvoir la remettre un jour dans sa niche ! Depuis quelques années, cette caverne a été reconvertie en espace culturel accueillant le festival local d’été. Et l’ensemble du périmètre a été aménagé en parc naturel, classé national ces toutes dernières années. Un accès y a été pratiqué pour conduire sur la plateforme du Gorraâ d’où la vue embrasse un somptueux décor jusque dans la vallée de la Méjerdah.
Dans le flanc sud de cette même montagne (visible depuis la bretelle qui contourne le village par la direction opposée à celle de l’arrivée), dans l’une des multiples excavations naturelles, à une époque indéterminée, a été aménagé le château des Sept Dormants : une grotte fermée par une muraille et rattachée par la tradition populaire locale au mythe des Sept Dormants qui ont décidément le don d’ubiquité puisque, rien qu’en Tunisie, on en retrouve la caverne tout près de Tozeur, dans le voisinage de Chénini de Tataouine ainsi que du côté de Gabès et même à … Tunis ! Cela, sans parler des Sept Dormants d’Ephèse (en Turquie) ou de ceux dont on célèbre le culte en Bretagne (France).
Inutile de préciser que, dans ce carré d’à peine une dizaine de kilomètres de côté, on peut passer une délicieuse journée printanière dans une profusion de décors et de sensations fortes. Et que l’on peut y revenir sans avoir épuisé toutes les ressources que peuvent offrir les randonnées dans le voisinage et qui peuvent mener de surprise en surprise (on y reviendra). Mais il ne faudra pas oublier de se munir en tout (sauf l’eau, à Djebba délicieuse au sortir de la source). Il n’y a pas ici de supermarché, ni même de supérette. L’unique gargote de Thibar n’est pas affriolante et guère de possibilité de trouver où s’acheter fût-ce une taboûna.
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