A la découverte de Termez – Je me sens fraîchement sortie d’entre les pages d’un ancien livre de magie et de récits fabuleux «Les milles et une nuits ».
C’est dans ce recueil de contes millénaires que Shéhérazade m’a fait découvrir Samarkand la ville à la limite des mondes, carrefour des cultures et l’un des plus célèbres sites du patrimoine universel, liée dans notre imaginaire arabe à la vie, art et aux amours du philosophe et poète Omar Al Khayyam tels que décrits dans le roman célèbre de Amine Maalouf, qui l’a choisie comme titre et lieu principal où se déroulaient les faits.
Shéhérazade m’a fait découvrir Tachkent « citadelle de pierre » riche de plus de deux milles années d’Histoire, de civilisation, de culture et d’apport à l’héritage de l’Humanité ,et m’a fait découvrir Boukhara « le lieu fortuné » (où sont nés « achaikh arrais » prince des savants et le plus grand des médecins, le troisième maître par excellence après Aristote et Al Fârabi, le médecin, astronome, psychologue, alchimiste, mathématicien, philosophe, théologien, musicien, poète et homme politique :
Abou Ali Al Houssayn Ibn Abdallah Ibn Sina dit Avicenne et le Imam Mohammad Al Boukhari le célèbre érudit du hadith) et Khawarezm « bilédou achams » ou pays du soleil (la ville du mathématicien célèbre Mouhammad Ibn Moussa Al Khawarezmi et du savant et philosophe Al Birouni camarade de classe d’Avicenne et de Miskawayh).
C’est à l’école, pendant les leçons d’Histoire, que j’ai appris sur La Route de la soie « tarik al harir » qui reliait jadis Chang’an (en Chine) à Antioche (l’actuelle Antakya en Turquie), à travers laquelle étaient transportés d’Orient vers l’Occident et vice-versa : la soie, le papier, les épices, le verre, les joyaux, ainsi qu’elle avait permis à la musique, la danse, les habits et l’art de la cuisine de voyager à travers les contrées. Je garde encore un souvenir lointain de mes livres d’école où j’ai lu l’Histoire de l’Amir Temur (Temerlan ou Timour-Lang), de Temüjinou Gengis Khan et du redoutable chef de guerre Houlagou Khan (Khulagu ou Hülegü qan).
Je viens de rentrer d’un voyage de l’Ouzbékistan, le pays de tout cela, c’est la raison pour laquelle j’ai l’impression de sortir d’entre les pages de « Mille et une nuits ». J’ai été invitée à un festival de musique Bakhchi, tenu à la ville de Termez, en Ouzbékistan, sur proposition du label Maqam dirigé par mes amis l’artiste jordanienne Macadi Nahhas et son époux Soud Allan, qui était mon compagnon de voyage. Je reçois un jour le message de Macadi via Messenger, me parlant de ce festival et me demandant si ça m’intéresserait d’y assister …Le message de Macadi faisait à peu près six lignes qui finissaient par le mot “Tachkent”. J’avoue que l’effet du mot fût irrésistible, toute la magie de l’Orient, ses mythes, son immense Histoire, la grandeur de ses édifices avec des voûtes et des dômes ornementés me venaient à l’esprit. J’ai tout de suite pensé à la majestuosité de l’héritage culturel et civilisationnel, à sa richesse infinie et à la place unique qu’il occupe dans le patrimoine commun de l’Humanité. Aller à Tachkent et à Samarkand n’était jusque là que de l’ordre de l’imaginaire. C’était comme un songe. Comment décliner une invitation pareille ? C’était bien sûr impossible. Et c’est grâce à ce couple charmant et inventif, Macadi et Soud, que j’ai fait ce voyage dont je vous rapporte mes notes et observations.
Le festival s’est tenu du 5 au 10 avril 2019, dans la ville de Termez « endroit chaud » (d’ailleurs l’expression Termez rappelle celle de Thermos en grec) , la ville au climat le plus chaud de tout l’Ouzbékistan, comptant un peu plus de 140000 habitants et située au sud-est du pays juste à la frontière avec l’Afghanistan (le pays où les Talibans ont imposé leur règne durant quelques années, secoué par le terrorisme, les guerres civiles et régionales, l’ingérence perpétuelle, les activités rebelles, l’instabilité politique, le trafic de l’opium et de l’héroïne). On se croirait, ici en Tunisie, très éloigné de cette ville et n’ayant aucun lien ni de près ni de loin avec elle. Il suffirait juste de savoir que c’est la ville natale du fakih et Imam Abou Issa Mohammad Al Termidhi (Al-Termizi), le compilateur du hâdith canonique de l’Islam sunnite, pour réaliser qu’on en a justement entendu parler au moins une ou deux fois et qu’on n’est pas si éloigné qu’on l’imaginait.
Le nom du festival est : Bakhshi international art festival. Organisé sous le patronage et avec le soutien de l’UNESCO, son objectif est de sauvegarder la tradition ancrée dans la région de l’Ouzbékistan, le Turkmenistan et le Khorasan, celle du « Bakhshi », qui veut dire : artiste narrateur, chanteur et instrumentaliste. Le Bakhshi est l’art de raconter les traditions, l’Histoire et le patrimoine de la région. Bakhshi est en réalité la déformation en langue turque du mot chinois « po-shih » signifiant : érudit.
L’ouverture était le vendredi 5 avril 2019, dans un théâtre du plein air, situé au milieu de la ville de Termez, juste en face du Musée National, avec une œuvre de musique, chant et danse folkloriques, qui a duré deux heures et qui a retracé dans une forme d’épopée l’Histoire millénaire riche du pays, reprenant légendes, événements véridiques et scènes de célèbres batailles et célébrant les héros nationaux et les figures emblématiques.
L’œuvre était une chance inouïe pour l’audience multiculturelle, multiethnique et multinationale, de découvrir la richesse et la variété incroyable de l’acquis et des traditions ouzbèkes. Il s’agissait d’une merveilleuse fresque mouvante, dont défilaient des habits aux milles couleurs, des instruments de musique, des outils, des ustensiles, des tissus, des draps, des tapis, des silhouettes, des gestes, des mouvements, des danses, des tableaux de la vie quotidienne, des scènes de mariage, de naissance, des batailles, des montagnes, des fleuves, des forêts, des vagues, des chants, de l’émotion, de la douceur, de l’enthousiasme, de la force, de la tendresse, de la colère, de la béatitude, de la fierté, de la bienveillance, du courage, de l’hospitalité et bien plus… On n’avait pas besoin, nous autres venus d’autres pays et parlant d’autres langues, de comprendre le sens des mots.
La force de l’émotion, et le haut degré d’humanisme et d’authenticité, dont était chargée toute l’œuvre, suffisaient amplement pour bien recevoir, comprendre et savourer ce message de paix et d’amour. Les invités étrangers étaient impressionnés par l’extrême beauté de cette œuvre d’art et par la rigueur et la précision avec laquelle elle a été conçue et représentée par le chef d’orchestre, ses musiciens, les chanteurs et chanteuses usant magistralement de leurs voix et gorges pour produire le chant diphonique impressionnant très connu dans la région (le fameux Khoomeii), les danseuses et les danseurs et tous les autres. Les ouzbèks, femmes, hommes et enfants, présents parmi l’audience, dansaient, chantaient et applaudissaient, tous fiers de se reconnaître complètement dans leurs traditions et coutumes et dans l’image de leurs ancêtres que renvoyait la fresque. Ils n’hésitaient pas à inviter les autres aussi à danser, car c’est leur façon de souhaiter la bienvenue et de partager la joie de vivre et l’allégresse.
Les ouzbèks sont un peuple très hospitalier. Dans la rue, à Termez ou à Tachkent, les gens sont souriants et très intéressés par les étrangers. Ils viennent vers vous spontanément et engagent facilement la conversation en ouzbèk, avec quelques phrases en russe ou parfois en anglais, vous demandant votre prénom ou le pays d’où vous venez ou la langue que vous parlez, si Termez vous plait et prenant à la fin un selfie avec vous pour le souvenir.
Le soir tout le monde est dans la rue, familles, couples, groupes de filles ou de garçons, tout le monde se pare et sort faire la fête, quel que soit l’âge. Le plus enchantant est de remarquer que les dames les plus âgées étaient celles qui aiment le plus danser et s’amuser. La ville regorgeait chaque soir et jusqu’à une heure tardive de centaines de fêtards. Malgré cela, les vastes rues restaient totalement propres, il n’y a pas une seule tache par terre. D’ailleurs c’est la spécificité des deux villes que j’avais l’occasion de visiter, Termez, la ville du Bakhshi et Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan. Partout, les rues sont très immenses (beaucoup plus larges que les rues en Tunisie ou à Paris par exemple), très bien aménagées, très propres (j’ai de ma vie rarement vu une propreté pareille en Occident et en Orient), agrémentées aux quatre coins par la verdure, les arbres et les tulipes multicolores. D’ailleurs quand on marche dans la rue, c’est uniquement l’odeur des fleurs ou des arbres qu’on sent, ni carburants, ni cigarettes, ni pollution. Il n’y a pas de mendiants, il n’y a pas de voleurs à la tire (pickpockets) et il n’y a aucun signe d’agressivité.
Les constructions et bâtiments sont imposants, composés de dizaines d’étages, alignés d’une manière très organisée et harmonieuse, espacés et peints de différentes couleurs. On y voit clairement l’influence du style architectural néoclassique hérité de l’ère soviétique. On retrouve cette tendance à la grandeur, la colossalité et la richesse architecturale, également dans les stations du métro souterrain à Tachkent. Les 36 stations des trois lignes de la ville, se trouvent à une très grande profondeur sous terre, au point qu’on dit qu’elles peuvent servir d’abri nucléaire. Elles ont été construites à partir de 1972 selon des normes antisismiques qui peuvent résister à un tremblement de 10 sur l’échelle de Richter. Aucune de ces stations ne ressemble à l’autre. Chacune a un style architectural et une décoration unique. Le seul point commun entre toutes, est la magnificence des palais. Elles sont toutes décorées de marbre, granite, fonte, bronze, bas-reliefs et mosaïques. Les murs recouverts de faïence, fresques ou de tableaux. C’est bien dans l’une des stations de ce métro, que j’ai croisé sur deux tableaux les couples d’amoureux connus à travers le monde « Leyla wa Majnûn » (la fameuse Leyla et son fou Kais) et « Farhad wa Shirine ». Même dans le métro, de ce pays, on a le droit à un peu de rêve, un peu d’imaginaire et beaucoup de culture.
Ces stations, du métro tachkentois, sont une véritable œuvre d’art, tels les musées, elles sont dignes d’être visitées, contemplées et admirées une à une. Propres, lumineuses, brillantes, calmes et surtout très modernes, toutes équipées d’écrans d’affichage et de portes automatiques. Les passagers sont très souvent calmes, ordonnés et respectueux. Dès qu’une femme, quel que soit son âge, monte dans le métro, il y a immédiatement deux ou trois gentlemen qui lui cèdent la place pour s’asseoir. Et une dernière remarque : il n’y a pas de SDF dans les passages sous-terrains du métro !
La population en Ouzbékistan compte 32,4 millions, d’une majorité musulmane de 94%, avec un taux d’alphabétisation de 99%, un taux de chômage de 5,8% et un taux de pauvreté de 17,7 %(chiffres de la Banque Mondiale en 2015). L’agriculture représente le secteur d’activité économique le plus important avec un taux de 38%(l’Ouzbékistan produit le coton, les fruits, le riz, les vignes, les céréales), suivie par le secteur des services à raison de 35% et enfin l’industrie avec 26,3% (les secteurs d’activité industrielle sont principalement l’extraction minière, raffinage du pétrole, assemblage de voitures, machinerie agricole).
L’Ouzbékistan est un pays qui nous ressemble à plus d’un niveau: doublement sorti de deux périodes politiques difficiles marquées par le régime autoritaire (la période soviétique en tant que République de l’URSS et le régime du premier président Islam Karimov), connaissant depuis peu d’années une certaine ouverture, voisin de pays instable et déchiré par les guerres, victime à plusieurs reprises d’actes terroristes… Les ouzbèks aussi nous ressemblent à nous les tunisiens dans leur niveau de vie et une partie de leur caractère. Ils sont majoritairement à l’image de mes deux guides : Abdurahmon Xalmatov (à Termez) et Og’abek–Almaz Baqoyev (à Tachkent) : amicaux, serviables et extrêmement sensibles et loyaux.
Les voyages, nous permettent en général de voir ce qu’il y a chez les autres pour ensuite nous regarder dans le miroir, afin de mieux nous connaître et bien savoir nous situer parmi les peuples et les nations de la Terre. Les voyages nous permettent entre-autres de découvrir ce qu’il y a de bien chez l’autre et de vouloir en apprendre, vouloir devenir meilleurs. Du peuple ouzbèk, nous avons beaucoup à apprendre: le grand respect qu’ils portent à leurs héritage, traditions et culture, l’amour qu’ils ont pour leur Ouzbékistan, la propreté, l’ouverture et l’hospitalité sincère et désintéressée et enfin le raffinement et la civilité.