Zembra

un bloc de roche ocre de plus de 20 millions de mètres cubes taillé à pic de toutes parts et qui culmine à 170 mètres du côté est et à environ 70 mètres du côté ouest. Sa surface se présente sous forme de plateau presque parfaitement plat d’environ 80 hectares de roche nue sur sa plus grande superficie et recouvert d’une mince couche de terre sur seulement une dizaine d’hectares qui ont servi de pâturage.

En effet, et ce n’est pas le moindre sujet d’étonnement que suscite l’endroit, jusqu’à ces toutes dernières années, du bétail (bovin et ovin) séjournait ici à longueur d’année, souvent sans compagnie humaine. Et se pose la question de l’accès de ces bêtes jusqu’à la cime. Car la paroi de la Table se présente sous forme d’une véritable muraille et la seule voie d’accès pour se rendre à son sommet est un escalier étroit de 150 marches taillées de main d’homme à flanc de paroi et aujourd’hui rendues glissantes par l’usage. Ces marches portent l’empreinte des sabots du bétail !

Cette « forteresse », dont l’accès est défendu par une porte en chicane qui trahit encore des traces d’aménagement remontant à l’époque byzantine (VI° siècle), a servi au fil des générations de refuge pour bien des dissidents, des résistants et des brigands. Position inexpugnable, elle a aussi l’avantage, au sortir des replis du relief voisin des Aurès, en Algérie, de dominer le corridor qui conduit au littoral de l’est tunisien et donc aux principales villes du pays. Mais comment faisaient ses occupants pour survivre dans un milieu aussi peu hospitalier ? On dit que les partisans du chef numide Jughurta ont résisté ici de longs mois aux légions romaines du général Marius venues au II° siècle avant J.C. soumettre le pays après la chute de Carthage. Comment était-ce possible en l’absence de sources d’eau et de terres cultivables ? La nourriture, nous disent les historiens de l’Antiquité, avait été stockée dans des greniers creusés dans la roche et l’eau de pluie conservée dans de vastes bassins (dix huit en tout, de belles dimensions) creusés, eux, en surface. Des abris souterrains accueillaient les familles. Et tout est encore là, de même que les vestiges d’une bourgade qui a été habitée jusqu’au milieu du XIX° siècle, ainsi que ceux d’une mosquée médiévale, probablement érigée à l’emplacement d’un lieu de culte chrétien et, précédemment, païen, comme en témoignent les éléments de décor architectural antique encore en place.

Deux fois l’an, le plateau s’anime et retrouve ses pulsions passées. Au printemps, pour fêter une journée touristique au cours de laquelle sont exaltés le passé et l’héritage numide de la région, et en automne, pour célébrer la “zerda de Sidi Abdeljawad”, fête annuelle du saint patron local dont le mausolée est le dernier espace en service sur le plateau. Ce sont alors les grandes réjouissances des “Ouled Boughanem”, tribu à cheval sur la frontière tuniso-algérienne, laquelle, au demeurant, est parfaitement visible depuis la Table.

Au pied de la Table, l’œil averti repère sans peine  les traces du présumé camp des légionnaires ayant assiégé les mutins numides. On reconnaît également des restes d’habitations anciennes, deux caveaux funéraires protohistoriques (les fameux haouanets) taillés dans d’immenses blocs rocheux et que les habitants de la région appellent bît l’aroûs et “bît l’aroussa”, chambres « nuptiales » pour le mari et son épouse, lesquels sont effectivement conduits dans ces caveaux le jour de leur mariage pour un rite ancestral. On trouve encore parmi les éboulis des sépultures dolméniques collectives de forme circulaire, ainsi que les fameuses escargotières, tumuli de cendres, d’éclats de silex, de coquilles d’escargots, des déchets domestiques et « industriels » accumulés au cours de la préhistoire dans le voisinage des cavernes et des campements.

Au pied d’El Galaâ, sur son versant ouest, se blottit un curieux petit village de style architectural colonial. Des habitations entourées de petits vergers arrosés par une source qui continue à alimenter la fontaine publique et où ont été implantés au début du XX° siècle les personnels européens de la mine de phosphate (aujourd’hui désaffectée) limitrophe de la frontière. Cette mine est à l’origine de la fixation des populations qui nomadisaient dans la région et qui se sont sédentarisées, principalement autour des locaux des employeurs, une société française qui embauchait le personnel local pour les taches subalternes et pénibles. Et c’est ainsi qu’est née la localité de Kalaât Snan, aujourd’hui chef-lieu de délégation, ce qui ne l’empêche pas d’être démunie de toute commodité touristique (aussi, se munir en tout pour une visite si brève soit-elle). La proximité de la frontière, par moments à un jet de pierre de la route, entraîne pour les visiteurs des formalités de contrôle ordinaires en de pareilles situations. Tahar Ayachi

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