Le design culinaire peut s’appliquer à l’industrie agroalimentaire, et les problématiques ressemblent beaucoup au design produit : rationalisation de la fabrication, production en série, économie de matière, marketing, etc. comme il peut avoir une approche plus artistique sous forme de «performance». Ce sont alors par exemple les collaborations d’un designer avec une grande maison, un grand chef (La Vache qui rit, le champagne La Veuve Clicquot…) ou une galerie d’art contemporain. Le designer apporte son regard technique et poétique à l’aliment, et comme les contraintes sont plus souples que dans l’industrie, la créativité et le style explosent. Il s’agit alors d’allier le beau, le bon et le bien mangé. Les grands noms du design culinaire sont français, il s’agit de Marc Brétillot, Germain Bourré, Julie Rothhahn, Delphine Huguet, Stéphane Bureaux…

Myriam Meliani est tunisienne. Son diplôme de designer produit à l’Institut supérieur des Beaux-Arts de Tunis en poche, elle poursuit ses études en France à Reims au sein du renommé post diplôme en design culinaire. Elle y approfondit son approche et la démarche intellectuelle qu’elle développe depuis de nombreuses années autour des traditions, des saveurs et du patrimoine culinaire tunisien.

Fervente défenseuse de la slow food par opposition au fast food, Myriam tente d’attirer notre attention sur les changements d’habitude alimentaire que notre société vit. La slow food ? C’est ce mouvement international fondé dans les années 1980 et qui cherche à préserver la cuisine régionale de qualité ainsi que les plantes, semences, les animaux domestiques et les techniques agricoles qui lui sont associés. En Tunisie la slow food ce serait la préservation de la diversité de nos semoules maison, la revalorisation de plat anciens longtemps mitonnés, l’anti caskrout mayo-pain à 190 millimes !

A Sfax au Borj Kallel en mai dernier Myriam proposait une performance de design culinaire intitulée « Mitsafsra », performance que la designer avait déjà présenté à Paris à la galerie «Le lieu du design». Hommage aux saveurs tunisiennes, « Mitsafsra » est une libre interprétation de notre patrimoine tant matériel qu’immatériel. Ici le safsari, ce voile de soie (ici voilage comestible de riz), se fait métaphore de la femme tunisienne, de sa féminité et de la pleine conscience de sa modernité. Il est aussi métaphore de la mère et de la vie. Et cette vie se matérialise à travers les saveurs sucrées tunisiennes constitutives de ce voile safsari de riz que les visiteurs dégustent. C’est aussi un éloge à la convivialité de notre cuisine et au rituel de partage que constitue l’acte de manger.

En Tunisie le design culinaire n’en est pas encore à ses balbutiements cependant Myriam essaie de créer autour d’elle un réseau d’acteurs (grands chefs, atelier de cuisine…) sensibles à sa démarche. En parallèle, des initiatives innovantes publiques comme privées naissent également sur le territoire pour faire connaître et repenser notre patrimoine culinaire (Conservatoire du patrimoine culinaire à Sidi Dhrif, Atelier Mille et Une Saveurs, travail de certaines marques d’huile d’olive ou de marque comme Typik ou Deyma, etc.).

La Tunisie est riche de terroirs, de savoir-faire, de goûts, de saveurs mais aussi d’inventivité et d’innovation. Huile d’olives, fromages, harissa, miel, etc. méritent de se faire connaître sur le marché tunisien comme à l’international. Est-il normal qu’un touriste en vacances en Tunisie ne reparte que rarement avec des produits culinaires du terroir alors que l’Italie promeut ses pates et ses gelati, la France ses vins, ses fromages, son foie-gras, l’Espagne ses tapas ? Que retient le tourisme de son séjour tunisien d’un point de vue gastronomique? Voyager ne se fait-il pas aussi avec nos sens ? Alors pourquoi ne valorise-t-on pas notre patrimoine culinaire par une marque d’huile d’olive à sa table, par une bouteille de vin, une harissa en pot avec une étiquette joliment pensée… A quand des labels de qualité ? Des AOC ?

Une vraie démarche de marketing de notre patrimoine culinaire est nécessaire tant pour le valoriser, le faire connaître que pour le préserver de l’uniformisation culturelle qui le menace.

AM

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