Maxula

dans l’Antiquité,a pu traduire le son inexistant dans la langue originelle que nous traduisons par « kh » dans nos retranscriptions de mots arabes en caractères latins (dans khaled, par exemple). Le prénom français Xavier se prononce khavier en espagnol (et s’écrit Javier). De nos jours, la retranscription en lettres latines du parler kabyle utilise le « x » pour rendre le son « kh ». Par exemple dans « axxam » (maison) qu’on prononce « akhkham ».
Cela étant posé, que penser de « maxula » ? Le mot s’affichait sur le fronton de la gare de Radès, dans la banlieue sud de la capitale jusqu’au milieu de des années 90 et était suivi de Radès. Le nom de la localité était composé : Maxula Radès. Cette appellation a été officiellement établie par un conseil municipal de la cité balnéaire aux débuts de l’ère coloniale (puisqu’aussi bien cette ville antique a connu un nouvel  essor à cette époque-là pour devenir une coquette villégiature moderne). A la fin du siècle dernier, un conseil municipal plus « patriotique » que d’autres a décrété que Maxula  était un rajout colonial et qu’il fallait le supprimer pour ne garder que Radès, l’appellation autochtone qui, il est vrai, prévalait depuis une époque très lointaine puisque nous savons qu’un ribat avait été édifié ici à l’époque médiévale autour duquel s’est développé le village et, disait la tradition, le Prophète en personne aurait recommandé aux croyants d’y monter la garde afin de s’assurer le paradis dès ici-bas (étant entendu qu’à la mort du Prophète, l’Africa alors byzantine, n’avait pas encore été conquise par les Arabes). Alors, qu’en est-il vraiment ? Pour le savoir, il faut revenir à l’Antiquité.
La localité existait bien avant toute invasion étrangère (comme l’écrasante majorité des cités tunisiennes, au demeurant). Elle s’appelait alors Maxula. A l’époque romaine, les autorités ont trouvé plus pratique d’installer une liaison par radeau (le « bac » d’alors) pour relier les deux rives du goulot de la Goulette, alors banlieue de la métropole carthaginoise, et économiser le détour par Tunes. C’était la route de « Maxula per rates », ou Maxula par les radeaux. De ce lointain souvenir n’a subsisté dans la mémoire collective que la deuxième partie de l’expression : « per rates » qui s’est contractée et transformée en notre « radès ». Au final, le conseil municipal « réformateur » n’aura retenu que la composante « étrangère » (romaine) de l’appellation choisie par son lointain prédécesseur ! Car l’appellation originelle de la localité est bien Maxula.
A la lumière de notre réflexion préliminaire, revisitons l’article de notre consoeur Frida Dahmani consacré ici même à la sainte de Dougga appelée Mokhôla. Il est très tentant d’établir un rapprochement entre Maxula (prononcer alors makhoula) de Radès et Mokhôla de Dougga. Il s’agit très vraisemblablement du même mot d’origine berbère dont il faudrait établir la signification précise. Indépendamment de l’étymologie, relevons que Bir Ettarraz, à Radès, représente pour la population (et bien davantage encore par le passé) bien plus qu’un point d’eau : il était entouré d’une vénération toute particulière. Pour sa part, Mokhôla (faire tout de même attention aux particularismes régionaux de la prononciation des mots communs), a élu domicile au terminal d’un aqueduc dont l’eau se déverse dans les citernes romaines du site archéologique de Thugga.
Nous savons à quel point les éléments naturels (sources, cours d’eau, cascades, arbres etc.) faisaient l’objet de cultes dans les premiers âges de l’humanité (chez nous comme ailleurs). Nous savons aussi que ces pratiques ont survécu à travers les âges en se « travestissant » et en s’adaptant aux croyances dominantes pour apparaître comme un élément de ces croyances lors même qu’elles représentent une certaine forme de résistance au dogme nouveau. Ainsi, elles auront traversé le paganisme romain, la religion chrétienne et enfin les croyances islamiques pour se perpétuer sous des formes différentes.
Faut-il alors chercher dans l’eau et le culte qui lui était rendu depuis la nuit des temps  l’explication de la parenté onomastique entre les deux ? Il n’est pas interdit de le croire mais il est évident qu’une approche plus rigoureuse doit être mise en œuvre pour éclaircir ce petit mystère. Philologues, historiens et archéologues devraient pouvoir conjuguer leurs sciences pour éclairer la lanterne aussi bien du public que des décideurs lorsque ceux-ci sont amenés à prendre des décisions qui touchent à l’identité et à la mémoire collective.
Tahar Ayachi
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