Les visiteurs des souks de l’artisanat dans l’ancienne Medina de tunis (capitale) et Nabeul (Nord-Est) sont surpris par les marques de fatigue et de désespoir dont sont empreints les traits de la plupart des artisans et reflétant, en fait, le déclin dont le secteur souffre.

“Le souk est vide en dépit du nombre de visiteurs…personne n’achète malgré la diversité des produits et les multiples créations”, des propos tenus par Adel El Ouni (artisan à Tunis) qui a passé plus de 20 ans dans le domaine du martèlement du cuivre, le transformant en de véritables oeuvres d’art. “La qualité des touristes a changé par rapport aux autres années et les clients tunisiens sont beaucoup plus prodigues que les groupes de touristes qui font montre d’un manque de confiance et de peur lors des transactions”, a poursuivi Adel, tout en alignant ses articles avec une minutie d’artiste.

“Actuellement je travaille seul après m’être séparé de sept ouvriers puisque je ne pouvais plus subvenir à nos besoins respectifs”, a ajouté Adel.

Une situation dont s’est également plaint Yahia Raies, qui s’est spécialisé dans la céramique depuis 18 ans. En effet, a-t-il précisé “les recettes ne suffisent plus à payer les charges de l’électricité, des matières premières et du loyer, en plus des salaires des ouvriers”. Raies a imputé cela au faible pouvoir d’achat des touristes qui s’orientent vers des circuits bien précis, fixés par les guides touristiques et excluant de leur itinéraire le souk traditionnel.

Plusieurs facteurs causent le déclin de l’artisanat

Les causes du déclin du commerce de l’artisanat sont multiples. Kamel Boughorbal (Nabeul), vendeur et fabriquant de produits de l’artisanat, depuis trois décennies, en cite principalement une, à savoir les guides touristiques qui rechignent à attirer les touristes vers les souks traditionnels qui constituent les plus grandes réserves du patrimoine tunisien.

Chadi Bouzouita (Nabeul) qui s’active dans la vente des huiles essentielles et parfums a avancé que “des intrus dans le secteur ou “baznassa” ont contribué à la déchéance du secteur en orientant les touristes vers des endroits bien précis les privant ainsi de la liberté de se diriger vers les souks traditionnels”.

Le bruit du martèlement sur les plateaux en cuivre se fait de plus en plus rare et “cela n’augure rien de bon” s’inquiètent Kamel et Chadi qui étaient en train de lire une pétition portant la signature de plus de 150 artisans et qu’ils comptent remettre au gouverneur de la région.

Boughorbel nous attire dans un coin de son atelier pour nous montrer sa photo figurant dans un livre hollandais sur l’artisanat en Tunisie, avant de murmurer, “j’ai bien peur de ne plus rien lire sur le patrimoine tunisien alors qu’auparavant des centaines de plumes étrangères étaient avides d’écrire sur l’artisanat de la Tunisie”.

L’étalage anarchique n’a fait que compliquer la situation. Plusieurs articles entassés partout en désordre empêchent les touristes d’accéder aux souks en plus des multiples articles de contrefaçon vendus à bas prix. Un phénomène qui ne peut que dévaloriser les produits de l’artisanat tunisien auprès des touristes, a-t-il dit.

D’autres problèmes sont cités par les artisans. Adel El Ouni accuse, en effet, “les hôteliers d’empêcher la commercialisation des produits de l’artisanat”. “Les hôteliers propagent la peur parmi les touristes en faisant circuler des informations selon lesquelles il y a un manque de sécurité dans certaines régions du pays et les incitent, par conséquent, à ne pas quitter les hôtels et ne pas se munir d’argent s’ils décidaient de sortir”, a-t-il expliqué.

Quand à Kamel Boughorbel, il trouve que les “hôteliers mettent à la disposition des touristes des petits marchés et des vendeurs au sein des hôtels et font de telle sorte que le touriste achète les produits exposés à des prix exorbitants”.

Selon les différents intervenants, la solution doit émaner du ministère du tourisme qui se doit de sensibiliser et contrôler les hôteliers pour permettre aux touristes de visiter les souks de l’artisanat et prendre connaissance des richesses naturelles, culturelles et civilisationnelles en toute liberté.

Certains artisans appellent également à contrôler et former les guides touristiques pour que les bénéfices ne soient pas empochés par un nombre restreint privant plusieurs autres de leur source de revenu.

Le président de la chambre régionale des commerçants de l’artisanat et vice-président de la chambre nationale, Borhane Ben Ghorbel, a fait savoir que “les artisans observeront, prochainement un sit-in au port de la Goulette”.

Ce mouvement de protestation vise, selon Ghorbal, “à sensibiliser les responsables du secteur du tourisme et tous les intervenants à la nécessité de cibler les artisans des circuits touristiques par lesquels passent les groupes de touristes”.

Il a ajouté que l’artisanat reste « le seul secteur qui a souffert pendant et après la révolution malgré la ferme volonté des personnes, y exerçant, de surmonter les difficultés et contribuer à la relance économique mais à condition d’être à l’écoute des préoccupations des professionnels du métier en vue de contribuer au développement et au renforcement de sa place dans le développement».

Le président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie, (FTH), Mohamed Ali Toumi, a affirmé, de son coté, qu’il a enregistré plusieurs dépassements dans plusieurs hôtels «où il a été permis aux vendeurs possédant des autorisations et d’autres, d’exposer leurs produits artisanaux d’une manière qui gêne la quiétude des touristes et gâche leurs vacances ». Il a ajouté que l’exposition et la vente ont lieu, parfois, lorsque le touriste est à la piscine, à l’intérieur de l’hôtel, ou lorsqu’il se dirige vers le restaurant ou le café ».

M. Toumi a souligné que ce comportement a «un impact sur les revenus des artisans installés dans les souks traditionnels mais, aussi, sur l’image du tourisme en Tunisie de façon générale ».

La responsabilité incombe, selon lui, au ministère du tourisme qui est appelé à organiser le secteur et à contrôler les personnes en infraction à travers les délégations régionales.

M. Toumi n’a pas nié, également, que les guides touristiques tentent d’empêcher les touristes de visiter les boutiques spécialisées dans la vente des produits artisanaux mais celles qui ne possèdent pas une autorisation de vente ou celles implantées de manière anarchique ».

Et de poursuivre : « j’ai vu l’un des artisans emballer dans un sachet en plastique une pièce artisanale, achetée par un touriste…un tel acte ne peut qu’éloigner le client et lui donner une mauvaise impression quant au produit artisanal tunisien en général ». Il a ajouté que les autorités de tutelle qui n’ont pas la volonté de promouvoir le secteur du tourisme sont appelées à faire participer tous les intervenants et à mettre en oeuvre les propositions des professionnels du métier afin de surmonter les erreurs et de généraliser les bienfaits à tous».

En attendant le retour du son du martèlement du cuivre et les interpellations des vendeurs du souk traditionnel de Tunis, il importe de conjuguer les efforts pour dépasser les difficultés à travers la contribution des différents intervenants du secteur et le renforcement du sentiment d’appartenance à la nation auprès de tous afin de sortir de l’ornière.

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