«Je suis française, mais je n’ai jamais vécu en France. Mes seules attaches à ce pays, ce sont ma mère et ma langue.» Insolite destin qui s’est pourtant bel et bien bâti sur l’amour d’une langue maternelle et a donné naissance à Elyzad. Modeste et ambitieuse entreprise de publication dédiée à la littérature francophone  du monde arabe ou d’Afrique.

En 6 ans d’existence, elle a publié une quarantaine de textes. Cette faiseuse de livres ne connaissait rien à l’édition avant de lancer Elyzad. Elle savait simplement que c’était par là-bas qu’elle voulait aller. Elle savait aussi qu’ouvrir une maison d’édition en Tunisie n’allait pas lui assurer des jours tranquilles. Après plusieurs années passées dans la vente en librairie et dans l’enseignement du français, elle a fini par suivre le chemin qui menait au ventre des livres.

Dans un sourire elle déclare «je n’y connaissais rien. Je ne savais pas comment on faisait.» Elle a alors examiné de nombreux ouvrages, les a observés de près, presque décortiqués : la typographie, la finition d’une couverture, la fragilité du papier. Pour accueillir les mots d’un auteur, un ouvrage se doit d’être honnête lui aussi « j’aime l’objet livre » dit-elle. Les écrivains publiés chez Elyzad savent que la maison est exigeante.

Les manuscrits qui arrivent entre les mains d’Elisabeth n’ont pas tous l’assurance de prendre vie sur les rayons des librairies. « Je n’ai pas ouvert cette maison d’édition pour l’argent et ce qui me ferait le plus mal, c’est qu’on me dise que mes publications font bas de gamme. » Elisabeth met un point d’honneur à ce que des livres écrits, élaborés et imprimés sur la Rive Sud de la Méditerranée  trouvent diffuseurs et lecteurs sur la rive Nord. Dès le départ, la survie des éditions dépendaient d’une réussite en France. Le marché tunisien du roman francophone reste encore trop petit.

Peu à peu Elyzad s’est fait un nom dans le vaste monde littéraire. L’écrivaine algérienne Wahiba Khiara avait choisi de confier Nos Silences à Elisabeth Daldoul. L’année dernière, il a été récompensé par le Prix Senghor, prix du meilleur premier roman francophone. Petits et grands noms se côtoient dans le catalogue.

Les événements du monde arabe survenus cette année ont donné un véritable « coup de projecteur » sur la littérature de ces pays. Au mois d’avril dernier, la petite maison d’édition publiait La compagnie des Tripolitaines, un autre premier roman. Kamal Ben Hameda, son auteur, originaire de Libye, est à présent invité partout et  son livre n’a échappé à aucun critique littéraire parisien. Peut-être est-ce là que réside tout le dilemme de  l’éditrice qui doit parfois se faire aussi psychologue et donner confiance aux écrivains du crû. « Beaucoup d’auteurs se sous-estiment s’ils n’obtiennent pas la reconnaissance en France. Tous cherchent avant tout à se faire publier là-bas. »

Parmi ses rares découvertes de jeunes plumes tunisiennes, il y a Yamen Manaï. Son dernier ouvrage La sérénade d’Ibrahim Santos , paru l’été dernier, parle de dictature dans un pays inventé d’Amérique latine. Conte métaphorique qui fait exception car souvent l’inspiration des œuvres littéraires se puise dans un réalisme très local. Elle espère aussi voir naître une vraie nouvelle génération d’écrivains francophones en Tunisie, comme il en existe au Maroc. «Les écrivains ont besoin de temps pour digérer le monde autour d’eux et mûrir leurs textes. J’attends avec impatience l’année prochaine car je suis persuadée que les écrits post 14 janvier vont révéler si la littérature aura su elle aussi se libérer.»

CéCiL Thuillier

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