Nous sommes bien loin du temps des «30 glorieuses» où le secteur affichait plus de 17% de taux de croissance et se dressait comme une locomotive pour l’économie tunisienne. Sur les dix dernières années, la moyenne a chuté à 4,7%.

Après le 14 janvier 2011, les choses empirent et on assiste à une vraie hécatombe. Les hôtels ferment par dizaines, mis à mal par la conjoncture internationale, la mauvaises gestion et l’image de la destination qui se détériore plus que jamais. Comme une gangrène qui s’empare d’un corps pas très saint, la question de l’endettement, qui a longtemps pollué les rapports dans le milieu, les plombe davantage. En cette phase de transition démocratique, toutes les initiatives pour sortir le tourisme du marasme dans lequel il se trouve échoue sur ce dossier complexe.

Mêlée à toutes les sauces, la question prononce aussi le manque de solidarité entre les professionnels et provoque une division. Pourquoi les bons doivent-ils continuer à souffrir et payer pour les mauvais? En gros, ceux qui s’en tirent veulent assainir le secteur pour pouvoir tirer la destination vers le haut et passer à autre chose en améliorant le produit, en cassant l’infernale descente des prix, en rétablissant la réputation.

Cela est une revendication émanant d’une partie de l’hôtellerie tunisienne qui se porte plus ou moins bien et qui comprend quasiment une grande majorité des hôtels construits avant les années 2000.
Le nombre des structures hôtelières tunisiennes est passé de 319 unités en 1980 pour 71.529 lits, à 443 unités en 1987 pour 100 456 lits. 10 ans après, la capacité totalisait 178 176 lits. En 2005, on enregistre 816 établissements, dont plus de 630 hôtels classés, pour une capacité totale de 229.837 lits. Aujourd’hui, plus de 100 000 sur presque 250 000 lits ont plus de 30 ans. De la phase d’accumulation, l’hôtellerie tunisienne doit penser à son présent en s’interrogeant sur son avenir. Il nécessite de faire pousser les lignes en termes de visions et de stratégies. Le temps du chacun pour soi est fini. Et tant que la question de l’endettement n’est pas résolue, une nouvelle page sera très difficile à écrire.

Mais en face qui sont les endettées? Quelle est leur version des faits? Pourquoi en sont-ils arrivés là? Pourquoi se décident-ils à parler maintenant? Ont-ils des solutions à proposer pour résoudre leurs problèmes?

Ceux qui crient au scandale aujourd’hui estiment qu’ils sont le dindon de la farce et qu’ils ont été «trompés, usurpés, malmenés par les banques et par l’Etat». En gros, ils estiment être des victimes des mauvais choix de ce dernier avec notamment des projets comme ceux des «jeunes promoteurs» ou des zones touristiques de Hammamet Yesmine ou de Tabarka ou encore les promoteurs des hôtels bâtis dans les zones du tourisme saharien.

Ridha Takatak, hôtelier et vice-président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH) est une des principales voix qui s’élève contre ce qu’il appelle «l’injustice».
Il a réunit autour d’un déjeuner débat quelques professionnels, endettés comme lui, et des journalistes non pas pour refaire l’histoire mais pour s’indigner et se révolter contre les propositions que présente l’Etat avec la création imminente d’un fond d’Investissement pour racheter l’endettement hôtelier en question. Il explique :» L’Etat se porte garant de la création d’un fond d’investissement pour racheter l’endettement hôtelier. Ils vont vendre le pays à qui ? Pourquoi ? Au nom de quoi ? Pourquoi accordent-ils à on ne sait qui bien plus que ce que nous leur demandons ? Des solutions, nous en avons…Parlons-en! On nous traite comme des pestiférés !»

Si nous devons nous en tenir aux chiffres, ils sont, selon lui, bien assez parlants. L’Etat tunisien a 48 milliards de dettes dont les dettes du tourisme représentent 7% de façon direct et 19% du taux d’endettement indirect.
Ridha Taktak ne comprend pas «Pourquoi ne parle t-on que de l’endettement hôtelier ? Quid des autres secteurs? Le secteur est endetté à hauteur de 2200 milliards de dinars et les créances classées sont de l’ordre de 1940 milliards. C’est un endettement artificiel surfacturé! Pourquoi les gros groupes ont été graciés et soutenus et nous on nous fait payer une facture pour sauver le secteur bancaire qui n’en est pas moins responsable de cette situation?»

De fait, ce sont quelques 300 hôtels qui sont en question, soit 1/3 de l’hôtellerie nationale. La BCT affirme que 17% du financement bancaire est accaparé par des hôteliers insolvables. Du côté du ministère du tourisme, on reconnaît que 10 000 lits sont en très grande difficultés. Dans les coulisses, les plus radicaux prétendent que sur les presque 700 hôtels que compte la destination, à peine 100 structures sont performantes. Cette appréciation n’est évidement pas du goût de tout le monde. Certains doublent péniblement le nombre estimant être larges !

Craintes de fonds vautour

Clairement, l’endettement pose et pèse péniblement depuis plus de 20 ans sur le secteur. Forte de plusieurs études, Najiba Echouk, experte en comptabilité met les points sur les I: «Ce sont les conditions de financement des projets touristiques par les banques de développement qui ont été contraignantes. Les commissions sur les crédits accordés par ces banques représentent 15% du principal de la dette». Elle déplore l’usage de taux d’intérêts illégaux pratiqués. Les banques ont perçus d’avance des intérêts conventionnels et cela à aboutit à une surfacturation irrégulière égale à 12% des intérêts initiaux. »

La solution ? Il y’en un bien entendu et selon l’expert comptable elle se résume à la prise en considération des irrégularités juridiques et financières qui ont été commises par les banques: «Il faut entreprendre une action d’urgence en accordant aux hôteliers une décote sur le montant des impayés à ce jour. Les autorités ne veulent pas admettre qu’elles sont fautives. Elles ont encaissées des montants de façon irrégulière».

Si certains pensent que l’ancien régime a bon dos d’être critiqué pour avoir créé des fortunes pas forcément méritantes, qui n’ont pas sur prendre soin de leur secteur, l’expert comptable estime qu’il a « préféré sursoir à une prise de décision juste qui nuirait au secteur financier. Les conséquences ont été néfastes pour l’ensemble de l’économie ”

La politique actuelle de ce gouvernement de transition démocratique est en train de suivre le même chemin, voir pire. Mme Echouk explique: «Après la révolution et dans la recherche de l’équilibre des états financiers des banques, suite au manque de liquidités et à la dégradation par les agences internationales de notation…Un conseil des ministres a décidé la création d’une société de gestion d’actifs qui achèterait l’ensemble des dettes accrochées du secteur et qui sera dotée de pouvoirs exceptionnels de gestion et de disposition des unités hôtelières en difficultés et ce malgré les nombreuses irrégularités commises par la banques».

Un fonds que les hôteliers endettés qualifient de “fonds vautour” et auquel ils comptent s’opposer farouchement. Sous d’autres cieux, ce genre de fonds est souvent détenu majoritairement par l’Etat lui même.
Laurent Gonnet est expert auprès de la Banque Mondiale. C’est lui gère le dossier du Fonds d’investissement dont ont été complètement exclus les professionnels. Il répond à l’accusation dans un entretien qu’il nous a accordé il y’a quelques semaines en affirmant que : «Les fonds « vautour » recherchent une rentabilité de court terme. Nous pensons que le fond pour la Tunisie devrait avoir une vision plus économique, sur le moyen / long terme et pas uniquement financière sur le court terme. Il faut cependant bien voir que, et c’est l’expérience internationale qui le montre, le fonds doit être capable d’agir rapidement. Pour cela, il faut qu’il soit en mesure d’acquérir des créances à un prix qui permette de restaurer les conditions de rentabilité des hôtels. Il est clair que libéré de la partie excessive de l’endettement, le secteur pourra retrouver un nouveau souffle » Pour lui, le secteur est simplement une collection d’entreprises individuelles. Uniquement celles qui sont sous la ligne de flottaison financière devraient intéresser le fonds. Sa durée ne devrait pas excéder 7 à 10 ans.

Du côté des professionnels, on tire la sonnette d’alarme. Brader les hôtels en difficultés au profit de parties tierces est une autoroute à toutes les convoitises et spéculations. Dans les couloirs, on pointe du doigt des investisseurs des pays du Golfe qui auraient déjà commencé le marchandage discrètement. L’ancien ministre du tourisme Elyes Fekhfekh a osé déclarer publiquement à des investisseurs turcs que la Tunisie avait des hôtels à vendre. Un impair ou un présage?

Pour le moment, le projet de décret devrait être soumis à l’approbation de l’ANC. Pris de panique, les hôteliers veulent tirer la sonnette d’alarme et prévoient d’entamer une série de mesures qui vont de la sensibilisation aux concertations et discussions avec les autorités et prévoient d’aller jusqu’au dépôt de plaintes judiciaires auprès du Tribunal administratif.

Reconnaissant cependant leurs responsabilité dans leurs erreurs de gestion et  mauvaise image qu’ils véhiculent, en étant les propres fossoyeurs de leur entreprises et secteurs, ils font porter aussi et surtout le chapeau à l’Etat qui n’a pas libérer le ciel, est responsable de l’environnement, de la politique, de la promotion et de l’animation des ville touristiques,…

Pour le moment, tout reste à mettre en œuvre pour que ce «nettoyage» du secteur, boulet au pied de la destination, ne soit pas le «mieux» qui risque de faire naitre le «pire» et ne se transforme en carnage.

Quelles sont les garanties pour que ce « renouveau » souhaité du tourisme tunisien ne soit pas téléguidé par des visées d’ordre politiques ou  idéologiques ? Pourquoi l’Etat accorde t-il à X ce qu’il ne veut accorder à ses propres enfants ? S’agit-il d’un fonds uniquement public, privé, un partenariat public-privé? Quelle sera la forme de la gouvernance?  Quelle devra être la dotation initiale du fonds ? Quels seront ses pouvoirs ?

Amel Djait

{mainvote}