Au lieu de juger les réactions des Etats-Unis d’Amérique, le ministre  devrait commencer par ne pas s’immiscer dans les décisions d’un Etat souverain ni juger celles-ci. En tant que ministre du tourisme d’un gouvernement particulièrement défaillant pour ne pas dire «calamiteux»,  Elyes Fakhfakh ne devrait-il pas être avec ses équipes en train de plancher sur un plan de communication d’urgence pour rassurer et apaiser la clientèle de la destination? Supposons un instant que l’Ambassade de Tunisie à Washington soit saccagée par des groupuscules “incontrôlés” et que les Etats-Unis soit incapable de gérer la situation,  serait-il acceptable que la réaction des Tunisiens soit jugée d’”exagérée” ?

Dimanche dernier la chaine française M6  passait à une heure de grande écoute un reportage «salafistes contre touristes». Un documentaire de dix minutes qui présentait des images et des témoignages peu rassurants sur la destination. Une appréciation certes erronée de la Tunisie  mais qui marque les esprits et l’imaginaire collectif occidental.

Depuis les images de l’attaque de vendredi et quelque soit ses tenants et ses aboutissants, la Tunisie fait peur. Ce n’est pas en niant la vérité ni en multipliant les plateaux télévision et radios pour pavaner avec des chiffres  dont les lectures peuvent être contradictoires que le ministre tunisien du Tourisme va faire avancer son département autant que son pays.

Pour le moment l’impact de ces événements, outre la crise politique nationale qu’elle provoque, a engendré, ne serait-ce qu’hier l’annulation d’une rencontre tuniso-française de préparation de la visite d’une délégation du patronat français ainsi que l’annulation de la visite de la Secrétaire d’État à l’économie suisse. Certains tours operateurs qui organisent des croisières en Méditerranée comme  «Aida Cruses» et «Cunard line» ont déjà annulé les escales à Tunis.

Le choc des mots

Les propos du ministre tunisien choquent. Sur la toile, rien qu’en lisant les commentaires sous l’article dédié à ses déclarations fracassantes au journal «Le Figaro», on compte pas moins de 73 commentaires et quasiment tous plus incendiaires les uns que les autres. Sur le site tunisien Businesnews, les commentaires atteignent un chiffre avoisinant  et c’est sans préciser les propos et commentaires horrifiés des Tunisiens sur les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter.

Un hôtelier en exercice écrit : « Quand je lis que le ministre du Tourisme dit au micro de RFI que la réaction des USA est exagérée, je dis que ce ministre est non seulement incompétent, mais il est également inconscient. Il n’a pas vécu la tornade d’actes de vandalisme perpétrés par des salafistes et des brigands de tous bords. Moi, je me trouvais à 150 mètres, et j’ai eu la peur de ma vie. Je ne savais pas si je pouvais rentrer chez moi… Pour donner raison aux Américains, aurait-il fallu que leur Ambassadeur meurt ou certains membres de leur Ambassade? Non mais je rêve ou quoi? Il aurait mieux fallu qu’il se taise ce ministre !  »

A un moment où l’image du pays en prend un sacré coup – pour s’inspirer des propos de Ali Larrayed, ministre de l’Intérieur – ces déclarations sont maladroites et déplacées, c’est le moins que l’on puisse dire !

Défendre l’indéfendable et s’obstiner à nier n’est pas l’attitude qu’a adopté l’ensemble du gouvernement. A quoi joue Elyes Fakhfakh à vouloir être plus royaliste que le roi en défendant si ardemment un gouvernement qui dérape ? A qui veut-il être aussi plaisant ?

Le ministre a aussi déclaré : « Je comprends l’inquiétude” des Occidentaux” face à la montée de la violence, mais la situation “est beaucoup plus complexe que ce qui peut être perçu de l’extérieur”. “La Tunisie est connue pour sa modération, son ouverture, sa tolérance (…) on ne peut pas mettre tous les islamistes dans le même bain, ceux qui sont violents sont une toute petite minorité”, a-t-il assuré.

Reste que pour la première fois depuis 1991 et avant cela en 1967, les USA conseillent à leurs ressortissants de ne pas se rendre  en Tunisie.  Dans un communiqué l’ambassade remercie les Tunisiens qui lui ont porté secours mais ne remercie ni le Président ni le Gouvernement.  Une façon diplomatique  de prendre ses distances malgré les propos diplomatiques échangées entre le ministre des Affaires étrangères et Hillary Clinton.

A l’heure où les Tunisiens sont choqués de la violence et de voir leur pays mis dans le même sac que le Soudan, l’Ambassadeur des USA en Tunisie déclare que l’image de la Tunisie est ternie et que le pays peut connaitre quelques difficultés à l’avenir. Le directeur de l’école américaine de Tunis, qui a également été saccagée, déclare que les forces de sécurité n’ont répondu aux appels au secours qu’au bout de plusieurs heures et que les pompiers  ont mis 3 heures pour arriver après l’incendie !

M. Fakhfakh a aussi déclaré :”Nous ferons tout pour redonner confiance”. Soit, mais ce n’est surement pas  en niant “des amalgames” qu’il y parviendra. L’image de pays ouvert, tolérant, qui a ébahi le monde au lendemain du 14 janvier est à présent définitivement du passé. Aujourd’hui, si le gouvernement et M. Fakhfakh ne prennent pas cela en considération pour envisager les bonnes approches, ils ne seront pas capables de rassurer ni les étrangers, ni les investisseurs et ni même leurs propres citoyens.

D’autre part, le ministre du Tourisme a rajouté : “On ne laissera rien passer si l’on sent qu’il y a une dérive de retour en arrière ou une volonté d’aller vers quelque chose qui n’est pas la Tunisie. Toute la société civile et les partis sont mobilisés dans ce processus”. En matière de tourisme, “ce malheureux événement ne nous aide pas”. “Il nuit à la Tunisie”.

Qu’à cela ne tienne, sauf que les dérives sont déjà là. Elles sont multiples et ont déjà nui à la Tunisie. Le degré de nuisance ne saurait se mesurer au curseur des esprits partisans et autres menus calculs et tactiques électorales.

En s’exprimant de la sorte, Elyes Fakhfakh ne mesure pas la portée de ses propos. Il est le porte-drapeau d’un secteur vital pour l’économie du pays. Un secteur qui mérite de la diplomatie et du doigté. Un secteur dont une certaine partie des professionnels qui n’appréciaient pas particulièrement le rendement ni la prestation du ministre pour son manque d’audace, de prise de décisions et de risques s’offusque à présent du manque de mesure de ses propos.

Amel Djait

{mainvote}