Alors que la Tunisie continue d’être l’une des destinations préférées des Français en y drainant plus d’un million de touristes par an, quelques rares initiatives autour du tourisme chez l’habitant et du développement durable commencent à éclore. La Destination Tunisie participe même cette année pour la première fois au « Salon du tourisme durable » qui se tiendra du 17au 20 Octobre en Belgique. Une participation qu’ applaudit Mille et une Tunisie en proposant un entretien avec le coordinateur d’ATES, une association qui défend justement ses principes.
Afin de saisir les enjeux du tourisme alternatif, nous partons donc à la rencontre du premier réseau français de voyagistes engagés autour du tourisme équitable et solidaire. Une occasion pour expliquer en détail la philosophie de ce concept. Une invitation à combler un vide. La destination Tunisie peut et doit être visitée autrement. Par Amel Djait
Mille et une Tunisie : ATES est le premier réseau français de voyagistes engagés autour du Tourisme Equitable et Solidaire. Quels sont les principes de cette association ?
Julien Bulot : L’ATES regroupe des organismes de voyages qui travaillent dans une même démarche de tourisme équitable et solidaire. Ils veillent à mettre en place une activité touristique qui aide au développement local des régions d’accueil, dans le cadre d’un partenariat équilibré avec les populations locales. Les membres de l’ ATES sont des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Ils ont élaboré une charte commune que chaque membre de l’ATES doit impérativement respecter.
Quels sont les principes de cette charte?
Notre Charte se décline en 3 axes, 10 critères et 29 indicateurs permettant d’évaluer le respect des engagements de nos membres en matière de commerce équitable, de solidarité internationale et d’économie sociale.
Le tourisme équitable et solidaire, facteur de lien entre le voyagiste, la population locale et le voyageur, se caractérise par une proximité des échanges entre ces diverses parties prenantes de la chaîne du tourisme. On peut dire, en caricaturant un peu, que le premier axe de la Charte est celui relatif aux valeurs du commerce équitable et correspond à la relation entre le voyagiste et la population d’accueil. Le deuxième est relatif aux valeurs de la solidarité internationale et correspond à la relation entre le voyageur et la population d’accueil. Le troisième est relatif aux valeurs de l’économie sociale et correspond à la relation entre le voyageur et le voyagiste.
Cependant, l’ATES est un regroupement de voyagistes, expliquant que les engagements de sa charte concernent uniquement le voyagiste et non les populations d’accueil et les voyageurs, dont la responsabilité est pourtant également sollicitée. Pour bien saisir la nuance entre les engagements du tourisme équitable et solidaire et ceux du tourisme responsable et durable, je vous invite à vous procurer l’ouvrage de Bernard SCHEOU “du tourisme durable au tourisme équitable” aux éditions De Boek.
Comment s’effectuent les sélections d’adhésion à votre association? Comment y adhère t- on?
L’’ATES accueille ses nouveaux membres soit en qualité de membre actif, soit en qualité de membre associé. Toute demande d’adhésion est étudiée par un comité d’adhésion qui se réunit deux fois par an. Depuis sa création en 2006, l’ATES a accueilli 11 membres, passant ainsi de 14 membres fondateurs à 35 membres au 1er janvier 2010.
Qu’apporte l’adhésion à l’ATES ?
L’adhésion à l’ATES permet d’appartenir au premier réseau français des acteurs du tourisme équitable et solidaire, dont la notoriété auprès des institutions françaises et du grand public ne cesse de croître, grâce aux médias et aux événements auxquels l’ATES est associée. Elle permet aussi l’accès à certains services comme le bénéfice de l’agrément tourisme, les échanges entre les membres avec l’opportunité de mutualiser des actions, ou encore la participation à l’important travail d’évaluation qui en sont les principaux avantages.
L’ATES propose près d’une cinquantaine de destinations . La Tunisie n’y figure pas. Pourtant aujourd’hui en Tunisie, ces principes que vous défendez commencent à se répandre. De nombreux opérateurs touristiques sont d’ailleurs en train de rentrer dans cette mouvance. Quels pourraient être les avantages de voir demain la Tunisie figurer parmi les destinations que vous proposez?
Contrairement au Maroc, où près de 50 voyages différents sont proposés par la moitié des membres de notre réseau, la Tunisie n’apparaît pas au “catalogue” des voyages proposés par les voyagistes de l’ATES. Pourtant, la demande existe. Nombreux sont les touristes français à vouloir découvrir la Tunisie autrement et à voyager au plus près de ses habitants. La rencontre et l’échange sont au cœur du projet du tourisme équitable et solidaire. Avant d’envoyer des touristes, il s’agit donc de faire se rencontrer des porteurs de projets en Tunisie, représentants des communautés locales désirant accueillir des voyageurs et des professionnels du tourisme, capable de vendre ces voyages auprès des touristes français.
Quels seraient les avantages de voir la Tunisie figurer parmi les autres destinations ?
Le premier avantage de voir demain la Tunisie apparaître dans les brochures des voyagistes du tourisme équitable et solidaire serait de permettre des rencontres entre les touristes français et les tunisiens, dans une destination où les voyageurs n’ont que très peu l’occasion d’échanger avec les populations locales. Deuxième avantage : mettre en avant un tourisme facteur de développement durable pour les populations et les territoires hôtes.
La naissance du logement chez l’habitant, des programmes dans les régions reculées de Tunisie, des contrées oubliées par le développement touristique peuvent-ils être un support pour l’émergence d’une nouvelle forme de tourisme en Tunisie?
Ces deux “tendances” vont bien évidemment dans le bon sens, celui d’un rapprochement entre les voyageurs et la Tunisie “authentique”. Le tourisme industriel, ou de masse, peut être durable mais ne permet que très difficilement de valoriser la rencontre entres visiteurs et visités. L’hébergement chez l’habitant et la visite de régions peu touristiques rendent plus faciles les échanges. La proximité permise par la petite taille des logements chez l’habitant et des flux modestes de touristes dans ces territoires peuvent en effet être des arguments pour le développement du tourisme équitable et solidaire en Tunisie.
Le fait qu’une destination soit celle d’un tourisme de masse l’empêche-elle d’être perçue comme une destination de tourisme équitable et solidaire?
La France, qui est pourtant la première destination touristique mondiale, reste une destination appréciée pour son authenticité. L’une des clés de son succès réside dans la pluralité de son offre et la relative bonne diffusion du nombre de touristes sur son territoire. Le développement du tourisme rural constitue d’ailleurs l’un des facteurs de sa réussite. Autre exemple, celui du Maroc : bien que la quantité de touristes s’y soit considérablement développée, le succès du tourisme
équitable et solidaire dans cette destination ne s’est pas démenti, bien au contraire. Les voyages du tourisme équitable et solidaire bénéficient des campagnes de communication touristique et de l’accessibilité permise par le tourisme de masse, à condition que les images véhiculées et les infrastructures touristiques ne soient pas exclusivement concentrées sur les usines à touristes du littoral… Ainsi, il ne me semble pas que l’image d’une destination empreinte de tourisme de masse comme la Tunisie soit incompatible avec une destination de tourisme équitable et solidaire.
Qu’est ce qui fait le propre d’un voyage solidaire?
La valeur ajoutée du voyage solidaire réside dans la rencontre avec les habitants. Ces derniers, maîtres et bénéficiaires du développement touristique, se rendent accessibles et sont intéressés par l’accueil des voyageurs.
Dans cette forme de tourisme que l’on dit solidaire, volontaire, équitable, …reverser un tant pour cent pour les populations locales est une fin en soit ou juste une motivation de voyage?
L’idée de la “part” solidaire prélevée sur le prix du voyage est de faire bénéficier au plus grand nombre d’habitants une partie des revenus générés par l’activité touristique. En effet, toute la population n’est pas toujours directement associée à l’accueil des touristes, par manque de compétences, linguistiques par exemple, ou manque de moyens leur permettant de mettre à la disposition des touristes un gîte et un couvert. Afin que ces habitants ne soient pas de simples
spectateurs, la part solidaire reversée par le voyageur génère la création d’un fond de développement qui sera affecté à des projets collectifs concernant l’ensemble de la population d’accueil, en matière de santé, d’éducation, d’environnement, etc.
Ainsi, depuis la création de l’ATES en 2006, ses membres ont collecté près d’un millions d’euros destinés à financer des projets de développement des destinations, alors même qu’ils ont fait voyager à peine 20 000 voyageurs (soit une moyenne, relativement élevée, de 50 euros par voyageur).Il s’agit bien d’une démarche complémentaire et supplémentaire de celle relative au commerce équitable et aux engagements à payer le prix juste en échange des prestations d’accueil et à maximiser l’utilisation des ressources locales.
Je me permets également de préciser que l’apport en compétences des touristes n’est pas le propos du tourisme équitable et solidaire, même si, à titre exceptionnel ou dans le cadre de projets spécifiques comme des chantiers de jeunes volontaires par exemple, le voyageur peut être mis à contribution et “aider” les populations. On parlera plutôt dans ce cas de “tourisme humanitaire”. Avec le tourisme équitable et solidaire, on parle bien de vacances, alternatives certes, mais qui doivent être génératrices de revenus pour des populations qui sont formées aux activités d’accueil (guider, héberger, nourrir, animer, faire rencontrer…) Les touristes sont souvent motivés pour aider mais nous leur répondons qu’il s’agit bien souvent, dans le cadre de nos voyages, d’apprendre des autres plus que d’apprendre aux autres. Des séjours axés sur la découverte et l’apprentissage de savoir-faire locaux, sont d’ailleurs proposés par certains membres de l’ATES : cuisine, artisanat, construction, agriculture, les méthodes développées par les populations d’accueil intéressent très souvent les touristes, ravis de pouvoir voyager utile et d’acquérir des compétences. Ces stages sont souvent l’occasion rêvée de faire plus ample connaissance avec la population.
Justement, qui sont vos clients? Quel est le type du voyageur soucieux du développement durable et du tourisme équitable?
Les voyageurs qui sollicitent les membres de l’ATES pour organiser leurs voyages sont généralement des personnes des catégories sociales supérieures, qui ont les moyens de s’offrir un voyage à l’étranger. Je rappelle qu’en France, près de 40% de la population ne part pas en vacances, ne serait-ce qu’en France ! Grâce au soutien des comités d’entreprises qui peuvent prendre en charge une partie du prix du voyage, nos voyages se sont néanmoins démocratisés.
Il s’agit également de touristes qui cherchent autre chose que le simple « farniente » quand ils voyagent. Nous avons également constaté que les personnes qui travaillent ou militent dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la solidarité internationale, de l’environnement, de la culture sont particulièrement intéressés par la rencontre des habitants et les échanges culturels que nous proposons. Autre caractéristique, la clientèle du tourisme équitable et solidaire est plutôt féminine et composée de personnes âgées de plus 40 ans.
Ce genre de voyageurs sont des groupes ou des individuels ?
Le tourisme équitable et solidaire concerne également les voyageurs individuels : baroudeurs, « globe -trotteurs » etc. Contrairement à ce que beaucoup pensent, il ne suffit pas de partir seul et à l’aventure pour être responsable. Un petit groupe de touristes, bien encadré et visitant des hôtes préparés à la rencontre, peut faire beaucoup moins de “dégâts” qu’un voyageur isolé qui ne va pas maîtriser les outils pour respecter la culture et l’environnement des habitants rencontrés.
Le tourisme équitable et solidaire a-t-il vraiment une place dans le tourisme ou reste t-il seulement un slogan?
Le monde du tourisme est en quête de sens. Le tourisme équitable et solidaire peut bien évidemment être récupéré comme un argument marketing. Il est donc du devoir des fédérations comme l’ATES mais aussi des voyageurs d’être vigilants sur le respect des engagements des voyagistes qui s’en réclament. Les populations hôtes doivent également pouvoir s’exprimer auprès des voyageurs, des autorités locales et des voyagistes sur leur manière de vivre le phénomène touristique. Le tourisme ne peut être équitable et solidaire, et plus généralement facteur de développement durable, sans un partenariat étroit et équilibré avec les populations locales. Je pense donc que le tourisme équitable et solidaire est l’avenir du tourisme car les voyageurs et plus généralement les consommateurs sont à la recherche d’une offre compatible avec les valeurs de solidarité, dans le temps, entre les générations, mais aussi dans l’espace, entre les territoires.
Pour en savoir plus, consulter : http://www.tourismesolidaire.org/