C’est dans un climat morose, en raison de la pandémie du COVID19, d’une crise politique sans précèdent et de l’abaissement de la notation de la Tunisie avec des conséquences négatifs quand à la capacité de mobiliser des fonds pour les années à venir que le projet de révision du système de classification des hébergements tunisiens a été présenté dans sa version finale par le Ministère du Tourisme. Par Amel DJAIT

Ce projet s’inscrit dans la stratégie de relance du tourisme tunisien qui s’articule atour de 4 principaux axes; la diversification de l’offre, la qualité des services tout le long de la chaine de valeur, le “branding” et la modernisation du secteur.

Lancé officiellement le 10 octobre 2018, à l’initiative du département du Tourisme, le projet est conçu en collaboration avec les représentants de la profession et l’ensemble de parties prenantes, notamment, l’ONTT, la FTH, la FTAV, FI2T, … Celui- ci est réalisé avec le soutien de l’Agence Allemande de Coopération Technique (GIZ) dans le cadre du projet “Tounes Wejehtouna” qui entame sa deuxième année d’exécution. Le projet est inscrit en annexe des activités de ce programme.

6 eme COPIL du projet de refonte du Système de classement des hôtels de Tourisme

Le ministre du tourisme Habib Ammar, lors de la 6ème réunion du Comité de pilotage du projet, a déclaré: ” Il s’agit d’un nouveau système de classement moderne et avant-gardiste qui permettra d’améliorer la qualité des services offerts et de promouvoir la Tunisie en tant que destination de qualité “. S’il reconnait que le système de classement actuelle remonte à l’année 2005 et ne se base que sur des critères purement physiques, le ministre déclare aussi: ” C’est un classement basé sur des normes obsolètes qui ont perdu toute crédibilité depuis des années “. Celui-ci est aujourd’hui à l’origine d’une concurrence déloyale entre des hôtels de même catégorie. Il est quasiment ignoré par les partenaires touristiques internationaux opérant sur le pays et ont mis en place des classements propres depuis des années.

Ces nouvelles normes constituent une véritable “mise en compétitivité” des hôtels. On évoque près de 500 critères qui ajoutent à la quantité et la qualité des équipements, les critères de la qualité de service, l’application des bonnes pratiques dans le respect de l’environnement et l’accessibilité des personnes à besoins spécifiques.

Pas qu’une question de timing…

Si le projet des nouvelles normes est largement le bienvenu, arrive t-il seulement au bon moment? Tient -il en compte les nouveaux impératifs de la crise actuelle que traverse le tourisme tunisien et mondial? Selon les professionnels et les techniciens, celui-ci tient largement compte des nouvelles attentes liées à la sécurité sanitaire et à la durabilité qu’imposent encore plus sévèrement aujourd’hui le marché internationale. Un grand bravo pour un travail technique élaboré et bien présenté dans une plateforme qui va permettre de digitaliser une partie de la démarche et permettre aux divers intervenants de collaborer.

Cependant à ce jour, le projet enregistre déjà quelques fissures. L’Union Nationale de l’Industrie Hôtelière (UNIH) exprime sa désapprobation quant au nouveau « projet de la Refonte du Système de Classement des Hôtels de Tourisme», tel que présenté récemment. Car s’il y’a une certitude, c’est que ce projet ne prendra toute son ampleur que s’il est largement partagé par l’ensemble des opérateurs du tourisme tunisien. Affaire à suivre!

15 ans pour changer des normes !

D’autre part, il ne fait plus aucun doute que la destination Tunisie est devenue une professionnelle du ratage des tournants vitaux à son industrie comme la digitalisation ou l’opensky. Alors que les destinations du monde entier sont à la recherche de solutions innovantes pour capter des parts de marché, en misant sur la qualité, entre autres, pour améliorer la performance économique de ce secteur d’activité, la Tunisie part hélas essoufflée dans une course de rattrapage dont elle n’a pas forcément les moyens.

Un fin observateur du secteur résume la situation ainsi: “Nous avons a mis 15 ans à mettre à jour l’ancienne version des normes et nous nous engageons pour 4 ans dans sa future applicabilité. Les normes de par le monde sont en train de changer à un moment où la demande a changé fondamentalement d’exigences déjà avant la pandémie et encore plus après cette pandémie….Sommes nous toujours condamnés à être en retard de phase?

Des normes, soit mais obligatoires dans 4 ans

Les professionnels tunisiens ont 3 ans pour mettre volontairement en place les nouvelles normes. Soit ! Mais avec quels moyens à un moment où ces derniers sont plus que jamais à plat? Ce n’est que durant la 4 eme année que ces normes deviendront obligatoires. Soit aussi ! Qu’est ce qui se passera aux entités incapables de s’inscrire dans ce programme?

Qu’est ce qui passera pour les entités qui n’ y adhèrent pas? A ce jour, selon un communiqué de l’UNIH, on pourrait conclure que ses adhérents pourraient s’opposer à la mise en application de ces normes: “Avant de promulguer cette refonte, l’UNIH suggère de faire des simulations sur les coûts et les investissements que doit dépenser et engager un hôtel (selon sa catégorie et son état) pour être conforme à ces nouvelles normes. Il faut tenir compte de la situation financière précaire des établissements hôteliers et de l’attitude négative des banques à leur égard”. Finalement, ces normes ne risquent-elles pas d’être obsolètes au bout de 4 ans dans un contexte caractérisé par autant d’incertitudes?

Des normes pour monter en puissance ou diviser?

Un air de déjà vu plane t-il déjà sur le projet? Quelles chances de succès présente cette feuille de route stratégique -programme de mise à niveau du parc hôtelier tunisien- alors que les contrôlés et les contrôleurs ont tous besoin de modernisation? N’ont -ils pas besoin d’une nouvelle gouvernance? Comment mettre en place un travail de fond sur la coordination des intervenants avec les institutionnels locaux? Comment impliquer les professionnels sur l’ensemble de la chaîne touristique pour piloter et mesurer, capitaliser et tirer bénéfice de cette qualité?

Sur un autre volet, que se passera-t-il en termes de communication et de de marketing internationale? Communiquera t-on sur ces nouvelles normes à leurs premiers balbutiements ou attendra t-on 2025 pour le faire?

A ce jour, seul un fait est certain, on dit souvent “vaut mieux tard que jamais“! Alors, gardons, le cœur vaillant et réjouissons nous !

Quid du financement et de la digitalisation?

D’autre part, la question du financement pose déjà de sérieuses interrogations tant pour le secteur privé que public. Combien va couter la mise en place de ce normes? Qui va financer cette transformation? Si ce projet est aujourd’hui présenté en annexe du programme “Tounes Wejehtouna“, cela veut-il dire qu’il va être inclus dans le programme de façon durable? Ceci dit, cela n’empêche pas de réfléchir à des mécanismes d’aide au financement en faisant intervenir le FODEC sur certains domaines comme la formation, les audits de conformité, etc.

Ces nouvelles normes sont aussi un accélérateur à la digitalisation tant attendue. Les professionnels de ce secteur évoquent déjà quelques pistes d’amélioration pour passer, enfin, à la vitesse supérieur. Les pistes d’amélioration sur la plateforme actuelle ferait passer au “user expérience” avec la possibilité de développer d’autres versions compatibles iOS/Android et proposer les services de l’ONTT, liés au processus de classement, sur une application mobile e- et m-services dédiée aux promoteurs hôteliers, etc. Comment la faire évoluer une vitrine pour le Développement Durable et l’Accessibilité et capitaliser dessus en termes de “branding” pour la destination?…

Finalement, ces normes pourraient être une occasion, une énième, pour tenter de rattraper le retard ! Si tant est que celui-ci l’est avec la situation actuelle que traverse la Tunisie.