Hormis quelques touristes descendant des rares avions qui atterrissent dans cet aéroport de granit et de froid, tout à Enfidha est désert, mort, oppressant… de l’infrastructure au personnel.

Il y a quelques années, à l’époque où le Président Ben Ali régnait encore sans partage sur la terre tunisienne, l’aéroport d’Enfidha était annoncé comme le phare aéroportuaire en devenir de Tunisie et de tout le monde arabe.
Comme si la construction de cet aéroport surgi de nulle part au milieu de nulle part allait subitement transformer la Tunisie en pôle aéroportuaire de dimension mondiale.Comme si les aéroports de Tunis surtout, mais aussi Monastir, Djerba, Tozeur, voire Sfax étaient subitement devenues de vieilles paires de chaussures qu’on jette quand elles ne plaisent plus.

Un astre mort dans la galaxie aéroportuaire
Aujourd’hui, l’aéroport d’Enfidha se dresse et s’étale comme un astre mort dans la grande plaine sahelienne tunisienne, quelque-part entre Hammamet et Sousse. A quelques centaines de mètres de l’autoroute reliant les deux villes, la vie est toujours absente du voisinage de cet aéroport où une poignée de flics vous accueille la mitraillette au côté.

Les ruches industrielles qui voisinent avec tous les aéroports dignes de ce nom, laissent toujours la place au sable et à la végétation des terres sèches. Sur ces terrains de sable, les mauvaises herbes disputent l’espace aux animaux égarés et à quelques visiteurs tout aussi déboussolés de la tristesse morne des lieux.Les hôtels ? A quoi bon puisque la demande n’existe pas sur ces terrains vierges et déserts.

Pas l’ombre d’une ombre
Quand on entre sur le territoire de l’aéroport, toute l’inanité de ce « Grand Travail Inutile » vous saute à la figure, vous enserre la gorge ; jusqu’à vous étouffer.Sur le parking, quelques rares voitures et une poignée de cars sont alignés sagement, proprement, dans l’attente d’improbables voyageurs. Pas l’ombre d’une vie. Comme pour se rassurer, on se dit qu’après tout, on arrive peut-être au mauvais moment et qu’il suffira de pousser la porte du hall d’accueil pour se rendre compte qu’on n’est pas égaré sur un astre mort.
Mais non. Le hall est désespérément vide de vie. Pas l’ombre d’une ombre.

Des vitrines vides, éteintes, mortes
A la droite de la porte d’entrée, l’espace et la vitrine du tourisme tunisien ne sont qu’un coquillage mort sur une plage déserte. Pas l’ombre d’un être humain. A peine quelques brochures, d’une autre époque sans doute, empilée sur des étagères inaccessibles qui se couvrent lentement de poussières.Et les agences de voyages, les services de locations de voitures, les firmes hôtelières sont tout aussi désertes. Comme si les rats avaient déjà quittés un navire qui n’a jamais navigué.

Des informateurs désinformés et désinformateurs
Et l’être humain dans tout ça. Oh oui, il y a bien un service d’information rehaussé d’une jolie jeune fille aux ongles colorés pour sauver les apparences. Mais comme une belle potiche dans la vitrine d’un vieil antiquaire, ne lui demandez pas de renseignements. Elle ignore quelles lignes sont desservies par l’aéroport d’Enfidha. Elle ignore tout des horaires des avions qui pourraient vous permettre de regagner ou de découvrir d’autres pays, d’autres villes… Elle vous lance des regards apeurés et même plus séducteurs… jusqu’au moment où, angoissée, elle se précipite sur son téléphone pour appeler au secours.

Alors un grand cerbère vient à la rescousse de la pauvre fille éplorée, sans en savoir davantage. Ah si ! Il sait rouler des mécaniques et hausser le ton. Et il vous informe le plus désagréablement du monde que pour connaître les liaisons aériennes entre Enfidha et la civilisation… les agences de voyages de Sousse et d’ailleurs en Tunisie vous renseigneront.  Mais le service de renseignements de l’aéroport. Non !
Le guichet de renseignements de l’aéroport… n’est pas fait pour vous renseigner. Simplement pour apporter une illusion de vie au monstre mort, sans doute.

Des méthodes d’une autre époque
Ah se renseigner à Enfidha ! Ah s’informer comme dans tous les aéroports du monde !
L’étrange manège de celui qui s’informe ou s’efforce de découvrir, apparaît rapidement comme une action d’espionnage.
Plus rapidement que les représentants du tourisme tunisien ou de l’aéroport, des flics (c’est ainsi qu’ils agissent, sans vous montrer leur carte de légitimation) vous font comprendre que la curiosité n’est pas acceptable à Enfidha.
Il leur manque bien une chaise inconfortable et un projecteur à vous foutre dans les yeux. Mais pour le reste, leur abord et leur attitude ne seraient sans doute pas reniées par les serviteurs les plus zélés de l’ex KGB russe ou de la police secrète de Ben Ali.

Oui. C’est ça, sans doute. Il faudrait penser à informer le personnel d’Enfidha que la révolution tunisienne s’est déroulée en janvier 2011 et que tout le peuple tunisien, encore unit à cette époque, avait mérité, gagné et conquis sa liberté… y compris celle de voler en liberté sous tous les cieux du monde.

Alain Trémiseau

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