Avec le temps, la matière s’épuise (il faut entre deux et trois bottes d’alfa en moyenne pour un seul couffin) tandis que les tresseuses d’alfa travaillent pendant des journées entières pour vendre à des prix dérisoires les bandes tressées qui servent à confectionner le couffin. C’est alors que de nombreuses femmes ont arrêté de travailler et ne transmettant plus leur savoir-faire. L’activité n’est plus lucrative et les objets réalisés ne s’écoulent pas facilement sur le marché.

C’est alors qu’intervient Mechri Chems Eddine – «Né à Tunis» – un designer qui durant des mois  a essayé de s’initier, auprès des femmes de Jradou, au travail de l’Alfa. Il affirme qu’elles étaient peu enthousiastes au départ à l’idée d’expérimenter de nouvelles techniques mais qu’elles ont fini par se prêter au jeu. C’est alors que plusieurs échantillons et prototypes ont été réalisés. Ils ont  permis d’élaborer des modèles inédits. La démarche était la suivante: “produire mieux avec moins” en  proposant une forme d’éco-conception et de co-conception qui permette de pérenniser la ressource et de valoriser le travail des femmes.

L’expérience aboutit ainsi au mariage de l’alfa  avec le PVC imprimé. A titre d’exemple, un pied de lampe porte un chapeau qui rend hommage aux artisanes, leurs photos y étant imprimées. Garsilla, Mariem, Aziza, Jamila, Mabrouka, Aljiya, Sallouha…

Pour présenter ce travail, «Né à Tunis» explique que : «Les créations chatoyantes sont  vives comme leurs rires, élancées comme l’amour porté à leurs enfants et à leur patrie, généreuses et fières comme leurs gestes de tresseuses, grandes comme leurs valeurs, solides comme leurs convictions… Un peu de leur courage et de leur joie ancestrale nous est transmis par ces objets familiers, utiles et beaux. Merci à elles. Co-conçus et à profil environnemental amélioré, ces objets tendent à faire de la question sociale et de l’environnement un facteur nouveau de dynamisation et de créativité en lançant un appel à toutes les entreprises qui peuvent agir directement ou indirectement sur la conception, l’amélioration ou la commercialisation des produits correspondant à cette optique». Entretien.

Mille-et-une-Tunisie.com : Pourquoi «Né à Tunis»?

«Né à Tunis»: En choisissant « Né à Tunis »,  je voulais un nom fort en symbolique avec une revendication identitaire mais s’ouvrant à l’autre et au monde. Pour moi, être tunisien, c’est être fier de ce qu’on est tout en restant ouvert d’esprit et capable de dialoguer avec l’autre.

«Né à Tunis» marque ainsi le début d’histoires que j’ai envie de raconter à travers chacun de mes objets. Le nom est donc pour moi plus emblématique d’un pays que d’une capitale par rapport à d’autres régions.

Mille-et-une-Tunisie.com : Quel est votre cursus ?

Je suis Designer Produit. J’ai 31 ans et suis diplômé de l’Institut Supérieur des beaux Arts de Tunis (ISBAT). Je travaille actuellement sur le Design Politique et le Patrimoine et suis très porté sur l’éthique dans le design, surtout en ce qui concerne la dimension sociale et politique. J’ai enseigné de 2005 à 2010 à l’Ecole Supérieure des Sciences et Technologies de Design(ESSTED) et depuis septembre dernier, j’enseigne à l’ISBAS, Institut Supérieur des Beaux Arts de Sousse.

Depuis 2005, je forme des artisans un peu partout en Tunisie en les initiant au domaine du Design Produit par des formations courtes de 10 ou de 20 jours. Cela m’a permis de mieux m’initier aux techniques artisanales et aux savoir-faire propres à nos différentes régions.

Mille-et-une-Tunisie.com : En quoi consiste l’expérience avec les artisanes de Jradou ?

L’année dernière, on a fait appel à moi pour former pendant quelques mois les femmes de « Jradou » afin de lancer de nouveaux modèles. J’ai pu ainsi les initier à de nouvelles techniques qu’elles n’avaient jusqu’alors jamais expérimentées. Même si la formation a été interrompue, je suis resté en contact et ai continué de travailler avec elles. Voir les objets que j’expose actuellement au Palais de la Ville de Tunis.

Mille-et-une-Tunisie.com : Pourquoi le choix de l’ alfa ?

Je n’ai pas choisi l’alfa mais il se trouve que c’est le matériau le plus utilisé dans cette région. Sachez que je travaille également sur la fibre végétale de jonc auprès de femmes de Douz et que je travaillerai d’autres matériaux ailleurs si j’en ai l’occasion.

Ceci dit, j’apprécie beaucoup les fibres végétales et je trouve que, dans une approche éco-design, c’est un matériau qui a un énorme potentiel puisqu’il est biodégradable et travaillé (tissé, tressé, teint…) artisanalement.

NB : Les créations de «Né à Tunis» sont disponibles à Den-Den, 6, Maison de l’Artisanat. Côté ONA .

{jcomments on}