En face, plus de 250 avocats plaident la cause de ceux qui s’indignent de l’offense de «Nessma». Une chaine télévisée à vocation maghrébine qui se retrouve sur le banc des accusés dans l’affaire Persépolis.

«Atteinte aux valeurs du sacré, atteinte aux bonnes mœurs et troubles à l’ordre public» sont les chefs d’inculpation acceptés par les tribunaux tunisiens. Une honte en ces temps révolutionnaires ou un droit indiscutable, selon où l’on se place.

La diffusion du film franco-iranien a provoqué des violences en octobre dernier sur fond de campagne électorale et suscité des violences à cause principalement d’une scène montrant dieu ou ce qui lui serait assimilable. Persépolis est l’œuvre de Marjane Satrapi. Primé à Cannes en 2007, il a été autorisé par le Ministère de la Culture tunisienne et diffusé il y a quelques années. C’est ce qui fait dire à certains que ce n’est pas le film qui pose problème mais le contexte politique et le jeu que joue ce média dans cette Tunisie qui se construit au lendemain des élections de l’Assemblée Constituante.

Beaucoup d’ailleurs ont mis du temps à soutenir «Nessma» car ils ne sont pas forcément d’accord sur la valeur des frères Karoui (patrons de la chaîne). Pourtant, ils pensent que face à la recrudescence des violations des libertés individuelles, ils doivent s’engager à dénoncer les violences d’où qu’elles viennent et quelque soit celui qui les subit.

C’est pourquoi une grande frange de la population se mobilise après coup derrière «Nessma». En plus d’appliquer la devise: «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrais jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire », ils savent que ce procès signe un tournant dans un contexte marqué par la stigmatisation, le rejet, l’intolérance mais aussi un apprentissage lourd d’enjeux et de conséquences.

Autrement dit, comme Ahmed B. une bonne partie pense grossièrement : « Je ne veux pas porter de jugement personnel sur une personne pour laquelle je n’ai aucun respect mais dans ce cas, je ne peux que soutenir, car ce combat dépasse les personnes. Il touche nos libertés ». Il va de soit que ceux qui affichent leur conservatisme estiment que « l’affaire Nessma n’a rien à voir avec la liberté d’expression. Sauf bien sûr si les défenseurs de cette chaîne voudraient inclure les caricatures de dieu dans le chapitre liberté d’expression ». Hérésie pensent-ils !

Pour l’instant, ce qui prime ce sont les menaces contre les libertés. Selon ces derniers propos, Nebil Karoui a déclaré à l’AFP : «Je suis combatif, on va se défendre et on espère être relaxé… Ce procès n’aurait jamais dû avoir lieu. Mais ce sera un test pour la liberté d’expression et la démocratie en Tunisie ». Il est soutenu par l’organisation Amnesty International qui a appelé à l’arrêt des poursuites contre le patron de Nessma. «Les autorités tunisiennes doivent rétablir Nabil Karoui dans son droit et abandonner immédiatement les charges retenues à son encontre», a précisé un communiqué émanant de Londres.

A l’heure où des milliers de Tunisiens souffrent d’injustice, de corruption et n’ont pas les moyens de se payer un avocat, plus de 250 avocats ont choisis leur camp. Celui du « haram » après celui de l’interdit. Une pétition de soutien à Nessma tourne actuellement et malgré la forte mobilisation, elle peine à remplir des milliers de signataires. Pourtant, les Tunisiens sentent arriver à galop cette chape de plomb qu’ils redoutent tant.

Bien loin des feux des médias, d’autres procès très inquiétants se tiennent sans juge ni avocat mais avec des condamnations et des applications de sentences alarmantes. Du côté du Kef, trois jours après la diffusion de Persépolis, c’était un professeur de théâtre de se faire tabasser devant chez lui. La raison invoquée par les agresseurs? Etre professeur de théâtre. Donc, encourager le dévergondage et le “haram”. Depuis la liste n’en finit plus de s’allonger.
A l’heure où s’ouvre le procès phare de ce “haram” contre interdit que la société civile dénonce, on est en droit de se demander où va-t-on ? Quelle société désire-t-on ? Après 23 ans de dictature et une révolution, la question du droit à la liberté d’expression notamment artistique se pose plus que jamais. Les actes de vandalisme, de violence physique et verbale, d’intimidations se multiplient et il est grandement temps de les arrêter si l’on veut construire un pays stable, tolérant et démocratique.

Pour cela, il est fondamental que l’Etat condamne fermement ces actes et fasse appliquer la loi sans passe droit. Il s’agit aussi de la part de chaque citoyen de prendre pleinement conscience du risque de glissement despotique que représenterait la perte d’un acquis comme la liberté d’expression au nom de critères moraux ou religieux. En pays démocrate, quelque soit son appartenance religieuse, c’est la loi et donc les notions de légalité/illégalité qui font référence et non celui de “halal” ou de “haram”.

Pour en revenir au procès de Nessma, il convient de retenir ce qui suit :
La liberté de diffusion et d’information est en effet inhérente au droit fondamental à la liberté d’expression, tel qu’il est reconnu par la Résolution 59 de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée en 1946 et par l’Article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme, dont voici un rappel de son contenu : “Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.”

La liberté de diffusion et d’information est aussi considérée comme un corollaire de la liberté d’expression par d’autres instruments internationaux importants, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques  (1966). Sans oublier , la Déclaration de Windhoek du 3 mai 1991, qui a défini les principes garantissant l’existence de médias indépendants et pluralistes et qui a été approuvée par la Conférence générale de l’UNESCO en 1991, et prolongée par la Charte africaine sur la radio télédiffusion  en 2001 et par la Déclaration des principes de la liberté d’expression en Afrique (2002).

Le procès de Nessma marquera les annales de l’Histoire par son impact directe sur la démocratie et la liberté d’expression, non seulement en Tunisie mais dans toute la région du Maghreb et du monde arabe. Il s’agit de se prononcer avec force et sans détour pour une Tunisie libre, où chacun aura le droit de s’exprimer et de créer sans contraintes ni interdits.

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