hela ammar

5 femmes, 5 artistes, 5 talents…A travers elles, nous découvrons une génération, des parcours et divers rapports à l’art. La toile est commune mais chaque artiste propose une invitation personnelle et intimiste.

Une rencontre avec Hela Ammar.

Héla Ammar est née à Tunis en Juin 1969. En plus de sa formation en arts visuels, elle est titulaire d’un Doctorat en Droit. Son travail photographique questionne les notions de mémoire et d’identité. Ses images et installations tirent leur force de la marginalité des territoires qu’elle explore. Co-auteur d’une enquête sur les couloirs de la mort en Tunisie (2013), elle a ensuite développé un ensemble d’installations sonores et visuelles dépeignant pour la première fois l’univers carcéral tunisien. Dans la foulée, elle publie un livre (Corridors, 2014) regroupant textes et photographies sur le même sujet.

Son travail a été présenté dans de nombreuses biennales et expositions internationales (Victoria and Albert Museum à Londres, Villa Empain / Fondation Boghossian à Bruxelles, Institut du Monde Arabe à Paris, Biennales de Casablanca, de Dakar, de Bamako…). Ses œuvres se retrouvent aujourd’hui dans de prestigieuses collections permanentes telles que celle du British Museum (Londres) ou de l’Institut du Monde Arabe (Paris). Interview par Amel DJAIT

1001Tunisie : Avez-vous besoin d’un lieu pour travailler ou faites-vous partie de ceux qui travaillent partout et sans cesse ?

Hela Ammar : Je travaille partout et sans cesse dans la mesure où je puise mon inspiration dans mon quotidien. Mais j’ai toujours eu besoin de me poser dans mon atelier pour écrire mes projets, réfléchir, installer ou simplement me laisser porter par la musique. Je travaille à Sidi Bou Saïd depuis plus d’une quinzaine d’années. Il y a quelques mois, j’ai eu la chance d’emménager dans un nouvel atelier longtemps occupé par Hédi Turki, un homme et un artiste extraordinaire, il y a laissé de très belles ondes.

Quelles sont vos sources d’inspiration ? Qu’est-ce qui vous nourrit et inspire ?

J’ai d’abord commencé par travailler sur moi-même, en me mettant en scène dans mes propres images pour questionner la place du corps féminin dans une société comme la nôtre. Ce questionnement identitaire s’est ensuite élargi grâce à de nouvelles rencontres, m’amenant à travailler sur des sujets tels que la marginalité et la mémoire. En réalité c’est l’humain qui m’inspire, dans toutes ses dimensions et ses paradoxes.

Je me suis exprimée par le biais de différents médiums tels que la photographie, la vidéo et l’installation. Je ne me suis jamais embarrassée d’une esthétique particulière et le choix du médium est à chaque fois dicté par le contenu du message à délivrer.

Comment avez-vous développé votre propre style ? Comment le définiriez-vous ?

Je ne sais vraiment pas comment répondre à cette question !  Difficile de s’auto-définir ! Je laisserai donc aux critiques d’art et autres commentateurs le soin de le faire à ma place. Avec du recul, je sais simplement que j’ai développé une démarche au fil du temps grâce à des rencontres et autour de questionnements qui me sont propres. Je me suis exprimée par le biais de différents médiums tels que la photographie, la vidéo et l’installation. Je ne me suis jamais embarrassée d’une esthétique particulière et le choix du médium est à chaque fois dicté par le contenu du message à délivrer.

Comment la tournure politique du pays a-t-elle impacté votre vie d’artiste ?

La création artistique, notamment dans le domaine des arts visuels, a longtemps souffert d’une sorte d’autocensure. Jusque-là tout ce qui avait trait au politique ou au social en était exclu. Depuis la révolution, plusieurs artistes ont pu explorer un domaine dont ils désespéraient et qu’ils s’interdisaient, consciemment ou inconsciemment.

Cet effet libératoire m’a personnellement amenée à réfléchir sur deux grands thèmes qui se croisent : celui de la mémoire, et celui des droits humains et des libertés individuelles. J’ai d’abord fait appel aux archives familiales puis nationales pour questionner notre passé et entrevoir notre avenir, pour arriver à ce terrible constat : celui d’une mémoire parcellaire et fragmentée et d’une Histoire politique que le pouvoir a toujours effacée pour réécrire à sa guise.

Le droit à la mémoire suppose la connaissance de ce qui a été, condition nécessaire à toute démarche de résilience. Il n’y a eu pour moi rien de tel que l’univers carcéral pour rappeler toutes les exactions du passé et pour revenir encore une fois sur le droit fondamental à la vérité et à la dignité. Le travail que j’ai développé autour des prisons tunisiennes a marqué un tournant décisif dans ma carrière.

Je me suis exprimée par le biais de différents médiums tels que la photographie, la vidéo et l’installation. Je ne me suis jamais embarrassée d’une esthétique particulière et le choix du médium est à chaque fois dicté par le contenu du message à délivrer.

Quand avez-vous pris conscience de votre besoin d’être artiste ?

Très jeune je pense ! J’ai toujours adoré dessiner ou m’exprimer autrement que par les mots. J’ai fait des études de droit et une formation en arts plastiques en parallèle. Aujourd’hui ma carrière artistique prend souvent le dessus sur celle de juriste.

Qu’aimez-vous dans l’art ?

L’absence totale de limites. Il n’y a que dans ce domaine où absolument tout est possible !

Quels sont les messages principaux que vous souhaitez passer à travers votre travail ?

On dit souvent que l’artiste est celui qui pose son propre regard sur le monde qui l’entoure. Plus que des messages, ce sont des questionnements que j’invite les autres à partager à travers mon travail.

Qu’est-ce qui dans votre parcours vous a rendu plus forte, créative ou libérée ?

J’ai beaucoup appris des rencontres extraordinaires que j’ai faites, notamment dans les milieux les plus défavorisés ou dans les cercles les plus marginalisés. Ces rencontres m’ont permis de dépasser toutes sortes de préjugés conscients ou inconscients et de repousser mes propres limites. Pour les besoins d’un projet qui sera présenté dans le cadre de Shubbak Festival en juin prochain à Londres, je travaille actuellement avec plusieurs groupes de femmes réfugiées issues des zones de conflits à travers le monde arabe. Je leur suis, comme à d’autres, profondément reconnaissante de toutes ces leçons de courage et d’humilité. Ce sont toutes ces leçons de vie que je ne cesse de recevoir, qui me permettent de continuer à avancer.

INFOS www.helaammar.com

Crédit photos : Pierre Gassin