Etat des lieux et propositions, par Mourad Mathari, producteur et organisateur de grands événements tels Jazz à Carthage ou Tabarka Jazz Festival.

Mille et une Tunisie : Quelle est la condition du spectacle aujourd’hui?
Mourad Mathari : Je suis un professionnel qui vit de sa profession, et il est vital pour moi, pour l’entreprise que je dirige, pour les employés qui dépendent de moi et pour les manifestations que je gère, de savoir à quoi m’en tenir d’un point de vue financier et budgétaire. J’ai l’impression, lors de chaque événement, de jouer à la roulette russe en raison du manque de transparence du système de taxation et d’autorisation en cours. Comment s’engager sur une programmation quand les taxes exigées dépendent de l’humeur du président de la commission fiscale, qui base ses calculs de façon totalement arbitraire : sur le montant net, sur le montant brut, sur l’ensemble du budget, sur le contrat des artistes, sur les frais de séjour, sur les billets d’avion…
De même, le directeur de la Musique et de la Danse peut fermer les yeux sur un concert ou carrément demander au ministère de l’Intérieur d’en interdire un autre, et les exemples sont nombreux. Celui de Sting  est caractéristique. Le ministre de la Culture de l’époque et son directeur de Cabinet ont tout fait pour saboter le concert malgré l’implication du ministère du Tourisme. Sting a dû écrire personnellement un courrier pour que le concert puisse avoir lieu! Nous avons apporté toutes les preuves de ces abus de pouvoir au nouveau ministre de la Culture.

Mille et une Tunisie : Les droits d’auteurs sont-ils plus transparents?
L’OPTDA (Organisme Tunisien de la Protection des Droits d’Auteurs) prélève une somme qui n’est jamais redistribuée à ses véritables bénéficiaires, c’est-à-dire les auteurs compositeurs, comme l’exige le principe même de la propriété artistique et intellectuelle. De même, sa méthode de calcul est abusive puisqu’il intègre dans ses calculs le montant de la taxe déjà payée à l’Etat. De plus, il impose le paiement des droits comme préalable à l’organisation du concert, rendant la tâche encore plus difficile aux organisateurs, alors qu’il ne cessait d’accorder des privilèges à des associations non agréées et à des sociétés faisant partie du clan présidentiel.

Mille et une Tunisie : Comment envisagez-vous le rapport public/ privé?
Nous ne voulons travailler qu’avec des professionnels. Je suis pour un désengagement de l’Etat dans les festivals. Nous avons trop souffert de la concurrence déloyale de l’ancien régime et de ses hold-up sur les événements qui fonctionnaient bien. Pour exemple, le ministère du Tourisme nous avait demandé en 1996 de réfléchir à la relance du festival de jazz de Tabarka. J’ai laissé en 2003 un festival en très bonne santé et une image du Tabarka Jazz au plus haut. Les autorités régionales s’en sont accaparé la direction. Leur manque de professionnalisme et de suivi a tué le festival.
Même si secteur s’est progressivement libéralisé, le ministère de la Culture a toujours gardé un monopole sur les événements d’envergure et a favorisé des entrepreneurs appartenant à la sphère d’influence de la Présidence, par le biais d’associations telles que Besma, Farhat Chabab Tounes, Saïda … ou autres structures hôtelières…
J’ai entendu et lu les positions du ministre de la Culture et de celui du Tourisme, ils ont chacun un avis différent. La solution est donc de privatiser en urgence les festivals d’Etat à défaut de subir à nouveau de cuisants échecs et de les ramener vers l’âge de pierre. Si l’Etat, selon les dossiers, veut s’impliquer par des subventions, c’est bien, mais nous faisons le choix de l’indépendance.  

Mille et une Tunisie : Comment voyez-vous l’avenir?

Sur proposition d’Ezzedine Bach Chaouch, nous travaillons à l’élaboration de nouveaux décrets, dont il faut absolument accélérer la naissance et l’application. A savoir une simplification des procédures, la diminution des taxes exorbitantes et la taxation de tous les spectacles de façon équitable et transparente.
Concernant les droits d’auteur, nous demandons la création d’une société qui inclue l’Etat et les auteurs compositeurs, une société qui reverse les droits d’auteur à qui de droit. Il faut que cela concerne aussi les auteurs tunisiens qui n’étaient pas même inclus dans la procédure.
Nous souhaitons la mise en place de catégories de spectacles, car actuellement il n’existe qu’une seule et même licence, que l’on soit agent, entrepreneur ou organisateur de mariages familiaux…
Enfin, les décideurs doivent dorénavant privilégier les sociétés locales légalement constituées et jugées sur projets et bilans en fonction de leur contribution au développement culturel et économique du pays.

Mille et une Tunisie : Les grands festivals d’été auront-ils lieu?
Concernant les grands festivals à venir, le ministère a décidé d’en maintenir quelques-uns, mais n’a pas donné plus d’information. A ce jour, rien ne semble avoir été entrepris. Auront-ils le temps?

Mille et une Tunisie : Le mot de la fin?

Cela fait plus de vingt ans que nous attendons, nous comptons donc sur le ministre de la Culture pour prendre des décisions aussi fortes qu’il l’a fait pour l’archéologie. Nous voulons maintenant pouvoir enfin travailler à 100 % de nos possibilités.

Propos recueillis par Mireille Pena

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