Patrimoine

Qu’une agence immobilière vende un bien, rien de plus normal. Que le texte spécifie que l’immeuble est à démolir et que l’autorisation de bâtir en R+ 3 est acquise, voilà des renseignements susceptibles d’attirer un promoteur tenté par 190 m²  dans le centre de Tunis.

Seulement ce bien n’est pas n’importe lequel. Il s’agit d’un hôtel particulier du début des années 20, situé rue du Luxembourg, entre l’Avenue de Paris et la rue de Marseille.C’est une pièce architecturale rare, mêlant l’art nouveau et un certain orientalisme comme beaucoup de constructions de l’époque coloniale.

Ce bâtiment est un témoin de son temps, il fut propriété d’une famille italienne, originaire de Livourne, connue pour son magasin de fourrure avenue de Paris. Quand les héritiers quittèrent Tunis, il fut laissé à l’abandon puis squatté pendant de longues années. Aujourd’hui, tout en étant dans un état très dégradé, il constitue encore un petit bijou de cette architecture qui faisait que le centre ville de Tunis avait des allures de meringue à la chantilly qui sentait bon le métissage des cultures. La façade avec de larges moucharabiehs s’orne de stucs en relief ; à l’intérieur, des céramiques et une rampe dessinent un joli escalier qui dessert différents espaces aux plafonds peints.

Au moment où la protection du patrimoine est une question fondamentale que ce soit pour l’urbanisme ou la mémoire de notre pays.Au moment où l’action de restauration de la médina est en  bonne voie et au moment où l’Association de Sauvegarde la Médina de Tunis reçoit le Prix d’Architecture Aga Khan pour son travail de valorisation du patrimoine récent de Tunis, la question se pose de ce que l’on veut faire des centres villes, hors enceinte des médinas, qui sont également porteurs de notre histoire.

Il y a urgence à réagir car ces merveilles sont en péril. Sans protection, elles sont livrées aux investisseurs immobiliers qui pensent bénéfices en lieu et place de préservation et revalorisation. Pour le cas d’espèce, Tunis est en train de perdre de son charme et de son allure de cité méditerranéenne en laissant ériger des immeubles à l’esthétique douteuse qui ne peuvent construire un tissu urbain cohérent et agréable.

Toute ville a une âme et celle de Tunis est noyée dans du béton anonyme. Au vu de l’action entreprise le long de l’Avenue Bourguiba, la municipalité de Tunis devrait aussi veiller aux trésors que recèle la ville moderne depuis l’Avenue de Paris jusqu’au Belvédère. Est-il interdit de rêver ce bâtiment restauré et transformé en hôtel de charme, en restaurant ou encore en centre d’art?

Frida Dahmani

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