Wahiba Khiari

Mille et une Tunisie : Qu’est-ce que signifie pour vous le Prix Senghor obtenu ?

Wahiba Khiari: C’est pour moi une victoire de la littérature. Cela veut dire qu’au-delà du drame dont traite le livre, il y a un texte dont on vient de reconnaître la qualité. « Nos silences » a plusieurs niveaux de lecture, je le voulais accessible à tous, il a aussi des connivences avec le peuple algérien, mais ce n’est pas un témoignage. Ecrire sur le silence, c’est donner corps aux émotions.

Mille et une Tunisie : C’est ce qui vous a guidée dans votre volonté d’un style toujours délicat ?
Wahiba Khiari: Il est facile de décrire des scènes d’horreur, on peut écrire des pages et des pages sur le sujet, et ce n’est pas la matière qui me manquait. Mais ce n’était pas mon objectif, au contraire. J’ai fait le choix de miser sur la langue, d’alterner deux voix de femmes, chacune venant atténuer ou renforcer celle qui la précède, comme une respiration, pour permettre au lecteur de souffler quand il en a besoin, de vivre les émotions au rythme de sa propre lecture. J’ai surtout évité la facilité parce que je crois en l’intelligence du lecteur. En refusant de salir les mots, j’ai aussi voulu être fidèle à la pudeur de ces femmes, à la pudeur de la souffrance.

Mille et une Tunisie : Nos silences ne comportent ni de dates ni de noms de lieux…

Wahiba Khiari: La douleur est universelle, les femmes ont toujours été violentées, violées, en temps de guerre ou de paix, partout dans le monde. Les silences dont je parle ne sont pas propres aux femmes algériennes.

Mille et une Tunisie : Votre livre parle aussi de culpabilité, de votre culpabilité, comme celle que vivent les survivants d’une catastrophe.
Wahiba Khiari: Ecrire sur un drame peut aider à se décharger de la culpabilité d’avoir échappé à ce même drame, mais il y a parfois une autre culpabilité qui apparait, lorsqu’on est récompensé pour ce qu’on a écrit. On se demande quel mérite il y a à écrire le malheur des autres, et si on a le droit d’en faire de la littérature. D’un autre côté, il faut bien échapper au drame pour parler de ceux qui y sont restés, et si le Prix Senghor est une consécration de la littérature, il est aussi un hommage à ces filles et à leurs blessures.

Mille et une Tunisie : Et votre rencontre avec la Tunisie, où vous vivez maintenant ?
Wahiba Khiari: La Tunisie ? « Cette terre est une charmeuse capable de vous endormir dans son sein avec un seul de ses soupirs. J’ai su dès le jour de mon arrivée qu’elle allait me posséder. » Je l’ai écrit dans mon roman et je le pense, la Tunisie m’a offert le bonheur, l’amour, et m’a quelque part réconciliée avec ma mère patrie.

Mille et une Tunisie : Y a-t-il un prochain roman sur le métier ?

Wahiba Khiari: Oui, mais j’avoue que j’en suis encore au fils de chaîne. La trame viendra. Il est très difficile de se lancer dans un deuxième roman après avoir ému tant de lecteurs. J’ai peur de décevoir, tout simplement. Mais j’avoue aussi que ce Prix m’encourage à écrire encore et toujours.

Propos recuillis par Mireille Pena

« Nos silences », Wahiba Khiari, éditions Elyzad, août 2009, www.elyzad.com « Nos Silences » est sélectionné pour le prix Ulysse du Premier Roman 2010, qui sera remis à la soirée de clôture du Festival Arte Mare, à Bastia, le 27 Novembre 2010.

Lien interne : http://mille-et-une-tunisie.com/accueil/actualites/3-actualites/965-prix-senghor-2010-a-qnos-silencesq-de-wahiba-khiari.html

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